CONCLUSION


LES CUIRASSEMENTS DANS LA FORTIFICATION
TERRESTRE FRANCAISE,
1871-1918.


1) Une grande gamme de matériels

De 1878 à 1918, le Service des Cuirassements, incorporé par la suite dans la Section Technique du Génie et assisté par la Section Technique de l’Artillerie, a mis au point un nombre important d’engins cuirassés. Parmi ces derniers on a bien entendu des cuirassements de grandes dimensions, comme les casemates et les tourelles du premier système. Mais à côté, il y a eu toute une gamme de petites réalisations construites en série. En effet, les cuirassements ne sont pas seulement ces gros engins complexes et coûteux, mais ce sont aussi ces petits boucliers d’infanterie, ces guérites d’observation. Ces petits organes ont rendu de grands services pendant la guerre, assurant une petite protection contre les balles et les éclats d’obus aux tireurs postés dans les tranchées.

Mais la production la plus importante reste incontestablement les tourelles éclipsables. Ces engins compliqués et simples à la fois sont les matériels qui symbolisent le mieux le travail du Service des Cuirassements. Créés par les bureaux de ce service, leur mise au point a été faite dans les différentes usines concessionnaires en suivant scrupuleusement les indications fournies par les ingénieurs militaires. Ces engins, ce sont les tourelles mitrailleuses, les tourelles de 75, les deux modèles de Galopin, ainsi que les petites coupoles tournantes pour un canon de 155C.

Après la guerre, tous les marchés concernant les cuirassements vont être résiliés. Les seules exceptions seront les tourelles de 75. Ce n’est pas du tout une condamnation de ces engins, bien au contraire, mais une décision logique dans un contexte d’après-guerre. Ces engins se sont comportés de façon très satisfaisante et les militaires vont en tirer des leçons. Le Service des Cuirassements est désormais une machine bien rôdée au sein de la Section Technique du Génie. Elle a été capable de surmonter toutes les différentes crises et de remédier aux différents problèmes posés lors de la mise au point des prototypes. Ces travaux longs et onéreux ont donné naissance à des engins d’une très grande qualité et à d’autres ayant encore quelques lacunes.

 

2) Des engins modernes et un comportement globalement satisfaisant

Ces engins ont fait leurs preuves pendant la guerre de 1914-1918. Presque tous les modèles de cuirassements ont été confrontés à des bombardements. La seule exception est la casemate en fer laminé, ou casemate de la Haute-Moselle. Aucun des deux exemplaires en service en 1914 n’a été confronté à l’épreuve du feu. Les anciens cuirassements en fonte dure ont reçu là une condamnation sans appel. Déjà dépassés depuis longtemps, il n’ont pas été en mesure de résister aux bombardements allemands.

Les tourelles mitrailleuses ont posé quelques problèmes. Mais chaque fois qu’elles se sont trouvées en positon d’éclipse lors d’un bombardement, elles ont été capables de résister à des obus d’un calibre supérieur au 270 m/m. Le seul problème réside dans la fragilité de leur muraille. Le principe d’un cuirassement abritant une mitrailleuse pour défendre les abords d’un fort est néanmoins très bon. Lorsque la tourelle de Froideterre est enfin entrée en action elle a repoussé les fantassins allemands. Si le cuirassement lui-même est à revoir, sa mission est plus que primordiale.

Le constat est plus élogieux pour les tourelles d’artillerie. Les Galopin se sont relativement bien comportées, ainsi que les tourelles de 75. La grande surprise a été provoquée par ces dernières. En fait, elles n’ont fait que confirmer les grandes capacités du canon de 75. Néanmoins, un cuirassement moderne n’a pas subi le feu : la coupole tournante pour un canon de 155C. Les deux exemplaires en service en 1914 étaient installés à Epinal. Si ce sont les tourelles qui symbolisent le mieux les cuirassements terrestres français, c’est aussi grâce à la bonne tenue des Galopin et surtout celle des 75.

 

3) Une fortification cuirassée de qualité

Les cuirassements français sont des pièces d’une très bonne qualité, comme ils l’ont prouvé pendant la guerre. C’est une caractéristique des fortifications françaises. Les autres pays européens qui ont fait appel aux cuirassements n’ont pas réussi à atteindre le même niveau, souvent pour des raisons de coût. Mais ce succès est aussi dû en grande partie au caractère spécifique des fortifications françaises modernes, avec des ouvrages neufs en béton armé ou des cuirassements rajoutés à des forts anciens eux-mêmes renforcés. La nouvelle fortification s’est donc basée sur les cuirassements.

Un exemple criant est celui de la Belgique. Les grandes coupoles tournantes pour deux canons de gros calibre ont été plus facilement démantelées que les tourelles éclipsables françaises. La fortification belge de Liège et de Namur, basée sur le béton non armé et sur un armement disposé entièrement sous coupole tournante, n’a pas résisté aux nouveaux canons allemands.

Les fortifications allemandes après 1885, dispersées et comprenant des batteries cuirassées avec trois ou quatre coupoles, n’ont pas connu le feu. On ne sait donc pas quelle est la capacité de résistance de leurs cuirassements. Tout ce qu’on peut dire, c’est que les tourelles éclipsables pour un canon de 5,7 cm en service dans la fortification belge n’ont pas résisté longtemps aux bombardements. C’est aussi le cas pour les affûts cuirassés pour un obusier de 21 cm, système identique aux coupoles allemandes pour un canon de 10 cm ou de 15 cm largement déployées à Metz. Les problèmes engendrés par ce système d’affût cuirassé avaient été mis en relief lors des expériences de Cotroceni. Même avec une seule pièce au lieu de deux, ces problèmes finissent toujours par ressortir.

 

4) Un principe qui ne va pas s’arrêter là

Les premiers cuirassements étaient destinés à abriter un quart à un cinquième de l’armement. Puis, peu à peu leur usage s’est étendu à l’ensemble des fortifications que l’on voulait maintenir à niveau face aux progrès des armements. Les cuirassements modernes ont été les seules protections valables pour les canons placés dans des fortifications. Avec le béton armé, c’est grâce à eux que la fortification permanente a été réhabilitée.

Ce principe d’organisation ne va pas s’arrêter là. Après Verdun, on a constaté que les forts pouvaient encore rendre des services précieux. On s’est mis à creuser des galeries souterraines sous ces forts pour loger la garnison et stocker le matériel. L’entrée a été placée loin en arrière. Les seules parties actives du fort restaient donc les cuirassements, tourelles éclipsables, mais aussi les casemates de Bourges. Leurs tirs pouvaient être réglés par des observateurs placés dans des observatoires cuirassés. L’obstacle principal pour pénétrer dans le fort restait le fossé défendu par des coffres de contrescarpe.

Or, après 1918, la France récupère l’Alsace-Lorraine. Metz, Strasbourg, Thionville et Mutzig sont fortifiés. Mais les défenses principales sont tournées vers la France. On va se rendre compte peu à peu que, même vaincue, l’Allemagne reste une menace pour la France. Pour protéger les nouvelle frontière de l’Est, le gouvernement français va décider la construction d’un nouvel ensemble de fortifications, ensemble construit sur des terrains vierges de toute défense. C’est ce qu’on appellera un jour la Ligne Maginot. Les pièces de combat, canons, mitrailleuses, observatoires, vont toutes être placées sous des cuirassements ou sous des casemates en béton armé. La construction de cette nouvelle fortification est la meilleure preuve de l’efficacité des cuirassements modernes en service en 1914. Pour construire cette nouvelle ligne de défense, la Section Technique du Génie et le Service des Cuirassements disposent d’une expérience solide et d’une vaste gamme d’appareils. En fait, la conception de la Ligne Maginot, fortification de béton et d’acier, est née quelques part dans l’histoire des cuirassements entre 1874 et 1918. Mais ceci est une autre histoire.



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