Conception de la Ligne Maginot


Dès la fin de la guerre 1914-1918, le gouvernement français veut à tout prix éviter qu'une invasion semblable à celle de 1914 puisse à nouveau se produire et demande à l'Etat-Major d'étudier le problème de la défense des frontières.

Cette étude va être marquée par les monstres sacrés de la guerre: les trois maréchaux qui ont commandé en chef les armées: FOCH, PETAIN et JOFFRE et quelques généraux qui, à la fin de la guerre, commandaient des armées.

Les raisons qui ont conduit à la conception puis à la réalisation de cet ensemble sont multiples et d'ordres bien différents :

A toutes ces raisons s'ajoutait le poids d'une longue tradition militaire qui, de Vauban au Général Séré de Rivières, a vu l'édification au cours des siècles de systèmes fortifiés successifs et souvent considérables.

L'origine de la Ligne Maginot est en fait à rechercher dans les conséquences de la guerre de 1870-71 au lendemain de laquelle a été décidée, pour éviter le renouvellement de faits comme l'irruption soudaine de troupes ennemies sur le territoire national et leur progression rapide jusqu'à Paris, l'édification d'un grand système fortifié le long de toutes les frontières terrestres et maritimes.

C'est ainsi que, sous la direction du Général Séré de Rivières, fut réalisée dès 1874 une "ligne Maginot" avant l'heure constituée d'un nombre considérable de places fortes, de forts, de batteries, etc... dont l'essentiel était implanté dans le Nord-Est entre Lille et la frontière suisse. Les jalons les plus connus de cet ensemble fortifié étaient les places de Verdun, Toul, Epinal, Belfort, Besançon, etc...

Remanié, perfectionné, modernisé sans cesse au gré des progrès successifs des armements jusqu'en 1914 et même durant les hostilités du 1er conflit mondial, le système fortifié Séré de Rivières jouera un grand rôle, en particulier au cours des âpres batailles de Verdun en 1916-17. Mais dès le lendemain de la guerre, il s'avèrera en grande partie obsolète.

Dépassé techniquement et structurellement, situé loin des nouvelles frontières du nord de la Lorraine et d'Alsace, il n'était plus en mesure d'assurer la fonction dissuasive et défensive pour laquelle il avait été conçu.

Les opinions sont très différentes: aux idées de FOCH, peu favorable aux systèmes défensifs statiques, s'opposent celles de Joffre, partisan d'une formule rappelant les forts de Verdun, de Toul ou d'Epinal, et de Pétain, adepte des fronts fortifiés linéaires et profonds. Ce n'est qu'à partir de 1925, sous la direction du ministre PAINLEVE, que des compromis vont être trouvés.

Les formes de la fortification vont d'ailleurs se modifier pendant cette période pour passer des forts SÉRE DE RIVIERES (Toul, Verdun, Belfort, etc...) modifiés au cours de la guerre 1914-18, aux ouvrages tels qu'ils existent actuellement.

Dès le début des années 20, le Haut-Commandement français, conscient du caractère éphémère des garanties du Traité de Versailles, conscient aussi des réalités humaines (1.350.000 morts, des millions de blessés et d'invalides du fait de la Grande Guerre, un déficit démographique grave comparé à la situation du vaincu) et du problème de la sécurité des frontières et du pays, entama l'étude d'une forme nouvelle de fortification.

De véhémentes discussions mettant aux prises les grands chefs de l'époque, FOCH, PETAIN, JOFFRE, opposèrent diverses conceptions jusqu'en 1925. Une "Commission de Défense du Territoire" (1922-23) sous la direction du Général GUILLAUMAT puis une "Commission de Défense des Frontières" jettent véritablement les bases de l'organisation défensive des frontières. Fin 1925, le Conseil Supérieur de la Guerre où siègent le Président de la République, le Ministre de la Guerre Paul PAINLEVE et les plus hautes autorités militaires du pays examinent le rapport de la commission et décident d'un "système discontinu de régions fortifiées construit dès le temps de paix".

En novembre 1926, la C.D.F., chargée de poser les grands principes, d'arrêter les formes techniques, de déterminer le tracé général et la nature des organisations à créer, présente un rapport capital proposant :

Les discussions et les études se poursuivent jusqu'en janvier 1929 quand sont définitivement arrêtées les formes du nouveau système de défense :

Une 2ème urgence prévoit l'organisation des secteurs de BELFORT et de SAVERNE mais rien n'est prévu au Nord, entre Dunkerque et Longuyon, c'est-à-dire le long de la frontière belge.

Painlevé, pendant ses ministères, désigne deux commissions :

En 1927 en effet avait été créée la COMMISSION D'ORGANISATION DES REGIONS FORTIFIEES, la C.O.R.F., qui sera véritablement l'organe constructeur de la Ligne Maginot. Composée de spécialistes de haut rang du Génie, de l'Artillerie et de l'Infanterie, présidée d'abord par le Général FILLONNEAU puis par le Général BELHAGUE qui lui imprimera sa haute personnalité, la C.O.R.F. va établir le tracé définitif des positions, créér les projets des ouvrages et des matériels qui les équiperont, lancer et diriger les chantiers. Son oeuvre immense sera synonyme de très haute qualité.

La C.O.R.F. créa des délégations régionales à METZ et STRASBOURG auxquelles seront subordonnées les CHEFFERIES locales du Génie (Thionville, Bitche, Mulhouse, Belfort, Nice, entre autres). L'immensité de la tâche, l'énormité des chantiers, le nombre des problèmes techniques, la responsabilité écrasante laissés à la charge des techniciens et des officiers qui travaillèrent à cette oeuvre gigantesque exigea de faire appel à l'élite scientifique et technique du pays. A cet égard, on peut affirmer que la Ligne Maginot fut et restera parmi les grandes réalisations contemporaines en France un chef d'oeuvre architectural et technique.

Au début de 1929, Painlevé fait approuver, en Conseil des ministres, l'organisation défensive proposée par la C.O.R.F. et, à la fin de 1929, passe son ministère à André MAGINOT. Maginot présente le programme à la Chambre des Députés quelques jours après avoir pris ses fonctions et le fait voter à main levée. Le Sénat examine immédiatement cette loi et l'adopte avec une majorité supérieure à 90 % des voix.

C'est le 14 janvier 1930, André MAGINOT, successeur de PAINLEVE au Ministère de la Guerre, fait voter la loi-programme accordant un crédit de 2.900 millions sur 5 ans pour la défense des frontières terrestres et laisse ainsi définitivement son nom à un ensemble fortifié dont les travaux avaient d'ailleurs déjà commencé.

Le programme devient alors la loi du 14 janvier 1930. Il prévoit deux régions fortifiées principales, celle de METZ et celle de la LAUTER, une barrière de casemates le long du RHIN, des barrages solides dans les ALPES et quelques miettes dans le Nord.

Pour qu'il soit facilement voté, la C.O.R.F. a dû compresser au maximum son devis. Certains ouvrages prévus ont été abandonnés et certaines installations renvoyées à une date ultérieure. En cours de réalisation, compte tenu de l'inflation permanente, il faudra encore réduire la construction des ouvrages en rejetant à une date ultérieure certains blocs pour rester dans les impératifs budgétaires.

En 1934, la situation politique va entraîner une reprise des activités de la C.O.R.F. pour protéger le plateau sarrois, la tête de pont de Montmédy et la région de Maubeuge. Mais cette reprise se fera pratiquement sans artillerie (il n'y a que deux malheureuses tourelles de 75 sur la tête de pont de Montmédy).

A partir de 1935, les constructions vont se multiplier pour essayer de couvrir toute la frontière. Mais elles sont le fait des généraux commandant les régions militaires qui ont reçu l'ordre de lancer un programme de construction qui ne s'achèvera qu'avec l'armistice de 1940. Les blockhaus sont alors de formes et de protection (épaisseur du béton) diverses et ne recevront généralement pas les armatures métalliques nécessaires.

Par ailleurs, les Services Techniques du Génie vont, un peu plus tard, dans un but de coordination, établir des types de casemates de plus en plus allégées pour couvrir les zones où la C.O.R.F. n'a pas oeuvré.

Les économies seront réalisées au détriment de la qualité.

A l'exception de l'ouvrage de LA FERTÉ, les fortifications percées dans des conditions normales de combat, c'est-à-dire avec un soutien de l'artillerie, la présence de troupes d'intervalle et une action frontale de l'adversaire, appartiendront toutes aux programmes des dernières années.

Les fortifications qui appartiennent à la ligne Maginot proprement dite, que ce soit dans le Nord, dans la région de St-Avold ou sur le plateau sarrois seront prises lorsque les ouvrages auront été abandonnés par les troupes d'intervalle, qu'ils ne seront pas appuyés par l'artillerie et que les Allemands viendront par les arrières.

Les Fronts des casemates du Rhin et des blockhaus des Vosges seront percés, mais lorsque les équipages auront été abandonnés dans une mission d'action retardatrice sans espoir.

Par contre, lorsqu'ils pourront bénéficier d'un appui d'artillerie, tous les ouvrages auront une résistance qui fera l'admiration des Allemands et des Italiens. Rappelons en particulier l'échec des attaques contre les ouvrages de Fermont, du Michelsberg, de l'Einzeling, de Laudrefang, de Téting, du Four à Chaux, du Hochwald, de Schoenenbourg, des casemates d'Aschbach-Oberroedern et de toutes les positions alpines.

Leur abandon ne se fera que sur ordre bien souvent une semaine après l'armistice.



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