Les cartons CO et COB


Principe des cartons CO - COB :

Aux tâches d'instruction des unités de forteresse, s'ajoutèrent de 1935 à 1940, l'organisation du tir; corrélativement avec cette organisation, ont été établis les documents de tir. Dans chaque batterie, les officiers et sous-officiers mirent à l'oeuvre tous les canonniers aptes à la topographie, à la géométrie et au dessin pour établir, pour chaque tourelle et chaque casemate les graphiques permettant de mettre au but les projectiles.


En raison du défilement aux vues ennemies des observatoires, chacun d'eux ne voyait bien que des fragments de terrain environnés de zones cachées; pour tirer le meilleur parti des bouches à feu, chaque directeur de tir devait savoir quel était l'observatoire apte à localiser un objectif donné.

Dans les limites de portée des pièces, il fallait pouvoir associer à chaque batterie tous les observatoires susceptibles d'observer les objectifs éventuels. Il existait donc tout une bibliothèque de ces cartons comme celui qui est reproduit ci contre, classée de façon que chaque observateur et chaque calculateur de P.C. saisissse à chaque tir le carton idoine.

 Comme dit Truttmann, page 498, ce travail, coordonné avec les plans directeurs du Service Géographique de l'Armée, "représente une masse de calculs absolument énorme"; " il se révèlera pleinement rentable à partir du 10 mai 1940, en donnant à l'artillerie d'ouvrage une efficacité qui stupéfiera littéralement les Allemands et les Italiens".

 

Cartons CO (carton d'observatoire):

Il existe autant de cartons CO qu'il en faut pour couvrir la zone d' un observatoire; sur chacun sont tracés au 1/10 000 :

 

Cartons COB (carton d'observatoire et de batterie) :

Il en existe autant qu'il faut pour couvrir la zone battue par la batterie, combinée à chacun des observatoires susceptibles de travailler à son profit. Chacun porte les mêmes indications que le carton CO, excepté le carroyage Lambert. Il porte en bleu les coordonnées polaires du terrain battu par la batterie. Ils sont réunis au P.C. d'artillerie.



Leur emploi combiné avec celui du téléphone enterré :

Le It-colonel RODOLPHE commandait l'artillerie du Secteur Fortifié depuis l'ouvrage du Hochwald; dans son livre COMBATS SUR LA LIGNE MAGINOT, pages 32 à 36 (voir annexe), il décrit la transmission de l'observatoire au bloc qui va tirer, d'un message de forme normalisée définissant l'objectif et ses coordonnées. Celles-ci sont lues par l'observateur, sur une photo panoramique en première approximation, puis sur un carton CO, plus précis.

Le message est rédigé sous la dictée de l'officier ou du sous officier-observateur, par le téléphoniste, sur un carnet à souche pré-imprimé. Il transmet les indications numériques observées et les repères du terrain sous leur forme conventionnelle. Un Allemand se branchant, par malheur, sur la boite de coupure, ne pourrait décrypter le message.

Le bloc désigné pour le tir recevait strictement les renseignements nécessaires: Numéro du tir, Gisement de l'objectif, Distance et Site.

 

La formation du personnel artilleur :

L'instruction commencée au camp de Drachenbronn à l'incorporation se poursuivait par des exercices fréquents faisant permuter entre eux officiers,sous-officiers, canonniers; ceux de la classe 1935, rappelés comme disponibles, avaient fait trois ans et demi sous les drapeaux au moment de la déclaration de guerre. Nos artilleurs étaient des professionnels.

La rapidité de la préparation de chaque tir repose sur la répartition des tâches entre de nombreux opérateurs. Le fil directeur était le numéro du tir; dans l'exemple de Rodolphe, 328, 3 est le numéro d'observatoire, 28 celui de l'objectif. Le numéro du tir peut ensuite être exploité pour la comptabilité des munitions.

 

Destinée des cartons COB :

Vaines recherches dans les archives, à l'armistice, Schoenenbourg a terminé la campagne par un tir de harcèlement d'un coup/minute sur Rittershoffen, nous empêchions de dormir les Allemands qui s'y trouvaient. Ayant tiré jusqu'à la dernière minute, nous avions un moral de vainqueur, ces journées de combat nous avaient rendus pompettes.

Nous mîmes de l'ordre dans l'ouvrage, la guerre était terminée, nous espérions être prochainement démobilisés et il ne fallait pas laisser aux Allemands la possibilité d'utiliser nos matériels.

Vint l'ordre de ne pas saboter les pièces, mais de détruire les documents de tir. Ceux qui le savaient, les artilleurs d'abord, en étaient atterrés.

Le capitaine André PERRIN, commandant de bloc à l'ouvrage d'Anzeling, a écrit : "Les yeux humides, je fais brûler tous les documents de tir, clé de notre efficacité, comprenant entre autres, le fameux plan de base du bloc, qui m'avait demandé plus de deux années de travail pour achever en 1938 ce que mon prédécesseur avait commencé dès 1934". 

Ce plan avait été établi par calcul logarithmique de tous les points du terrain, reportés sur papier millimétré avec direction et distance de tir jusqu'à limite de portée des pièces, tous azimuts.

Et tout cela est parti en fumée en quelques minutes . . . " . Les CO et COB, sur cartons épais, ne brûlaient pas, à Schoenenbourg, j'ai fait apporter la réserve de soude caustique des fosses chimiques d'aisance pour la verser entre les cartons et sur eux au fond de trous de bombes de stukas que nous comblâmes".



Conclusions :

Le"Secret de la FORTIF" est la vaste masse de documents qui nous ont servi quelques jours à rendre efficace et précise l'artillerie inventée par le général CHALLEAT. Associons à sa mémoire celle du général MENJAUD qui a conçu tout le parti à tirer de l'association d'un système d'artillerie de faibles calibres à un réseau d'innombrables observatoires.

Ces cartons que nous détruisîmes, nous avaient permis d'encadrer tout objectif observé dans les limites de portée des canons. Une patrouille allemande d'un effectif comparable à celui d'une équipe de football, avant de s'être déplacée ou abritée, se trouvait environnée des impacts de 80 obus tombant dans un rectangle moins grand que la moitié d'un terrain.

On comprend alors l'Unteroffizier qui m'a dit en me montrant le bois de Hoffen à 4 kilomètres de Schoenenbourg: "Il y a quinze jours, nous y étions partis à douze, je suis revenu seul".


- Suite