CES TRAINS QUI CIRCULENT DERRIERE LES OUVRAGES DU NORD DE L'ALSACE

Le transport par voie ferrée à écartement de 60 cm a été très largement utilisé durant la Première Guerre mondiale. Les trains allaient approvisionner principalement en munitions et matériels d’artillerie les troupes du front, jusque derrière les tranchées, ce que ne pouvaient encore faire les camions. Il était donc normal que ce système soit reconduit pour la future guerre et bien sûr également au service de ce qui deviendra la ligne Maginot.

 

LE RESEAU DU  SECTEUR FORTIFIE DE HAGUENAU

Au départ, si on peut l'appeler ainsi, est le poste régulateur de l'antenne de Neubourg qui est situé au sud-ouest dans la vaste forêt de Haguenau. L’antenne de Neubourg est constituée d’un long réseau constitué à 80% d’une double voie qui se déroule en majorité à travers la forêt de Haguenau en direction de la ligne Maginot.

Mais Neubourg est surtout connu pour son important dépôt de munitions qui devra alimenter en temps voulu, soit un ou des dépôts intermédiaires, soit directement les ouvrages de la ligne Maginot. On y trouve nombre de quais de transbordement puisque les caisses arrivent par la voie ferrée classique, sont stockées dans des hangars et ensuite acheminées vers les forts par la voie de 60 qui dessert le dépôt par plusieurs ramifications.

Neubourg est aussi le nom d'un vaste dépôt du matériel du génie et de l’intendance, avec ses entrepôts et ses quais de transbordement. Là aussi, la voie de 60 y pénètre et se divise en de multiples branches.

De là, la voie étroite s'étend vers le nord. Au passage, une petite branche va rejoindre l'actuelle gare SNCF de Walbourg où l'on retrouve un quai de transbordement, mais cette fois-ci à usage de la troupe. Ici, nombre de soldats qui vont rejoindre leur affectation dans les ouvrages ou les intervalles quitteront les wagons civils pour monter dans les wagons spéciaux de la voie de 60, et inversement pour ceux qui plus tard partiront en permission. En 1939, Walbourg est la plus importante gare du nord de l’Alsace. De là, le réseau se déroule jusque dans le bois du Niederwald, à proximité de Merkwiller-Pechelbronn, où prend fin la zone de compétence des personnels de l'antenne de Neubourg et où commence celle de Soultz-sous-Forêts.

 

LE POSTE DE SOULTZ ET SON RESEAU

La Compagnie d'exploitation 660 du 15e régiment du génie gère et organise tous les transports ferroviaires militaires à destination des ouvrages du Hochwald et de Schoenenbourg  à partir du poste de régulation de Soultz-sous-Forêts. Soultz est le site majeur du secteur, on y trouve en outre un quai de transbordement sur la ligne à voie normale SNCF Haguenau-Wissembourg, un dépôt de matériel du génie, un garage-atelier, deux voies de garage.

Le poste de Soultz gère ainsi trois tronçons bien distincts appelés antennes :



L'antenne de Soultz au Niederwald (le bois d'en bas) est longue de 7,1 km . Au large de Soultz, la voie de 60 traverse Kutzenhausen où le génie a construit une gare occupée en permanence, ainsi qu'une voie d'évitement. La voie traverse ensuite le village de Pechelbronn (célèbre pour son pétrole) où elle se scinde au milieu du bourg pour se diriger soit vers le Niederwald, au sud, ou l'ouvrage du Hochwald, au nord. On y trouve également une gare, mais sans personnel.

La limite sud de l'antenne de Soultz est la gare de la forêt du Niederwald, qui est aussi la gare d'échange des machines de traction venant soit des dépôts de Neubourg, soit des convois de transport de soldats venant de Walbourg. C'est aussi là que s'en retournent les sapeurs de l'antenne de Neubourg car la limite de leur secteur d'activité est la gare du Nierderwald, alors que commence là celle des sapeurs de l'antenne de Soultz.

On y dispose donc de trois voies de manœuvre. La gare est occupée en permanence par au moins trois sapeurs. Comme la plupart du temps il faut attendre que les convois arrivent du sud, les machinistes peuvent compter sur un petit stock de charbon car même à l'arrêt, il faut alimenter les chaudières des locomotives Péchot.

L'antenne du Hochwald ( 11,2 km jusqu'au bloc 8) débute à la bifurcation de Pechelbronn et prend fin, à son point le plus éloigné, à proximité de l'entrée des hommes de l'ouvrage Est du Hochwald (bloc 7).

La voie passe non loin du village de Lampertsloch où une gare occupée en permanence et une voie d'évitement ont été construites. Idem à Lobsan. Mais là, une branche mène en outre vers un dépôt de munitions.

Peu avant d'arriver au Hochwald, une ultime gare occupée elle aussi en permanence et disposant d'une voie d'évitement a été érigée près des chevalements et installations des mines d'asphalte. Un peu plus loin, la voie est connectée par une bretelle à l'entrée des munitions du fort du Hochwald, puis elle se poursuit vers le nord, longe un dépôt de munitions d’infanterie et d’explosifs situé près du carrefour routier, pour s'achever 1000 m plus loin à proximité de l'entrée des hommes.

L'antenne de Schoenenbourg se détache de celle du Hochwald à l'entrée de Kutzenhausen pour se diriger sur Retschwiller, la ferme de la Gaensmuehle et la ferme du Grasersloch. A chacun de ces trois endroits, ont été édifiées une gare occupée en permanence, ainsi qu'une voie d'évitement. La ligne aboutit à l'entrée du fort de Schoenenbourg où il faut relever que cette dernière n'est pas, contrairement à celle du Hochwald, une entrée pour trains, mais une entrée pour camions, du fait assez peu propice à l'accueil de grands convois ferroviaires.

Longue de 10,3 km , l'antenne de Schoenenbourg n'a été terminée que pendant l'hiver 1939/40 et les premiers trains ne sont arrivés à l'ouvrage qu'en mars 1940.

L'antenne du Four à Chaux, réalisée elle aussi tardivement, se déroule sur environ cinq kilomètres à partir de la gare et du quai de transbordement de Mattstall (ligne civile Haguenau-Lembach) jusqu'à l'entrée des munitions de cet ouvrage. Mais ce tronçon de voie étroite n'est pas du ressort de la régulation de Soultz-sous-Forêts et par ailleurs non situé dans le secteur Fortifié de Haguenau.

 

LE MATERIEL ROULANT

LE MATERIEL DE TRACTION

Deux types de locotracteurs étaient en action, la locomotive à vapeur Péchot et le locotracteur à  essence construit par Schneider. Tous ces matériels étaient des survivants de la Première Guerre mondiale et abordaient la seconde passablement fatigués.





La locomotive articulée Péchot-Bourdon modèle 1888 est alors une des plus performantes et certainement la plus curieuse des machines pour voie de 60 jamais construite. Il s'agit en fait de deux machines assemblées dos à dos, avec chacune une cheminée fumante à son extrémité, mais avec un foyer commun au milieu. Bien malin qui pourra affirmer où se trouve l'avant ou l'arrière.

Le parc de Soultz réceptionna deux de ces machines en novembre 1939. Leur nombre augmenta jusqu'à 10 en juin 1940.

Le locotracteur Schneider type LG modèle 1916 fut en service dès la mobilisation. De 2 en novembre 1939, son nombre crût jusqu'à 9 pour ensuite décroître à 7 durant les derniers mois du conflit.

Quelques locotracteurs à moteur diesel Billard T75D circuleront sur le réseau du Secteur Fortifié de Haguenau, mais pas sur les antennes du Hochwald et du Schoenenbourg, les rapports d'exploitation ne mentionnant que les Péchot et les Schneider. Les Billards seront toutefois largement utilisés sur ces réseaux par les Allemands, après la défaite de 1940.

LES WAGONS

Les wagons étaient eux aussi de deux types : la plate-forme Péchot modèle 1888 et la plate- forme Decauville modèle 1915.



D'une dotation de départ de 27 plates-formes Decauville en novembre 1939, on termina le mois de mai avec un effectif de 60. Cette plate-forme pouvait emporter jusqu'à 10 tonnes de charge utile, selon la version.  

La plate-forme 1888 était encore appelée truck d'artillerie (terme anglais) durant la première guerre mondiale car les déplacements des matériels d'artillerie se faisaient essentiellement à l'aide de plates-formes et de bogies de ce type. En petite quantité en novembre 1939, la dotation de la plate-forme Péchot augmenta rapidement jusqu'au nombre de 60.

La plate-forme Péchot était plutôt adaptée pour le transport de charges consistantes. Par contre, les matériaux plus ou moins fluides comme le sable et le gravier étaient véhiculés par les plates-formes Decauville qui avaient l'avantage d'être coiffées d'un caisson en bois dont on pouvait rabattre les flancs, ce qui facilitait le déchargement. Ces wagons étaient encore appelés tombereaux. D'ailleurs, sur les photos de construction ou de consolidation des voies, ne figurent que des wagons Decauville.

Il y eut aussi en dotation des plates-formes Péchot rehaussées de cabines en bois servant à transporter les permissionnaires, ainsi que quelques citernes à eau destinées à transporter ce liquide sur des chantiers où l'on n'avait pas d'accès à l'eau.

 

QUELQUES CHIFFRES

En novembre 1939, l 'ensemble du réseau géré par Soultz n'est pas encore opérationnel, loin de là. Sur les 28,6 km de voies définitives, seules 13,9 km le sont le 7 de ce mois. Le 30, on montera à 17,4 km ce qui revient à dire que les rails de 60 viennent juste d'atteindre l'entrée de l'ouvrage du Hochwald. Les deux premiers kilomètres de l'antenne de Schoenenbourg ne sont vraiment achevés qu'à la fin du mois de décembre 1939, où le réseau passe à la longueur de 19,8 km .

En décembre, les 9 locotracteurs Schneider et les 3 locomotives Péchot parcourent  un total de 5530 km , ce qui donne une moyenne de 178 km par jour pour l'ensemble du parc. Les Péchot auront véhiculé 1775 tonnes de fret, les Schneider 4425, donc un total de 6200 tonnes brutes ou 3820 t de charge utile.

Quant aux 27 plates-formes Decauville, leur moyenne cumulée de roulage journalier est de 215 km , contre 122 km pour les trucks 1888, mais il est vrai qu'ils ne sont encore qu'au nombre de 8 à ce moment là.

 

MAIS QUE TRANSPORTENT DONC CES TRAINS ?

NOVEMBRE 1939

En novembre, ils transportent principalement des matériaux de construction pour la ligne du Schoenenbourg. On en est alors à la construction des garages du Seltzbach où il faudra amener 1925 tonnes de sable et 5 tonnes de gravier. Idem pour le garage du Froeschwillerbach qui ne nécessitera que 400 tonnes de sable.

A destination du Hochwald, seront transportées 564 tonnes de gravier et de sable, 30 tonnes de fers à béton et 6 tonnes de tuyaux.

 


14 tonnes de ronces (barbelés) et treillis seront acheminées du quai de transbordement de Soultz au parc du génie situé à environ 500 m de là.  

Quant aux munitions, 26 tonnes seront rapatriées vers l'arrière jusqu'à la gare d'échange du Niederwald. Vraisemblablement une partie des 8791 cartouches de 75 mm FA 29 retirées des stocks, ce lot ayant provoqué des incidents de tir début septembre, notamment au Hochwald où une des deux pièces de la tourelle du bloc 7bis avait été endommagée et mise momentanément hors d'usage.  

C'est aussi à partir de cette gare que seront pris en compte 120 tonnes de ciment à destination du parc du génie de Soultz.

 

DECEMBRE

En décembre, c'est toujours la construction de la ligne du Schoenenbourg qui monopolise une partie du matériel roulant. On y véhicule principalement 2683 tonnes de sable. Du fait, les choses avancent et on en est à la hauteur de Retschwiller à la fin du mois.

Pour sa part, le Hochwald perçoit 390 tonnes de gravier, 30 tonnes de munitions et 36 tonnes de matériels divers.

Les navettes vers le parc du génie permettent d'y apporter des tonnes de ciment, de treillis, de palplanches.

La gare militaire de Lobsan, qui est en construction, nécessite 12 tonnes de planches.

Et enfin, le parc roulant a transporté 1638 permissionnaires car c'est au mois de décembre que furent accordées les premières permissions.

 

FEVRIER 1940

Les destinations et les matériaux transportés ne changent guère. On relève toutefois qu'on livre 618 tonnes de sable, 126 tonnes de gravier, 60 tonnes de ronces, 40 tonnes de ciment, 450 tonnes de rails et 190 tonnes de traverses métalliques, ces derniers sans doute pour l'antenne de Schoenenbourg. Mais aussi des cadres en bois ou métal, des ronces artificielles et de la tôle métro, ce qui veut dire que les troupes d'intervalle ont repris les bétonnages des nombreux blockhaus STG et MOM du secteur et qu'ils étoffent les réseaux antipersonnels.

4500 permissionnaires ont été transportés en février. Ceux roulant vers le sud changeront de train à Walbourg. Mais auparavant, il y aura un changement de locomotive à la gare du Niederwald où une machine de l'antenne de Neubourg prendra le relais de celle qui rentrera à vide (ou avec un échange de wagons) à Soultz.

11 tonnes de munitions sont convoyées vers la ligne Maginot.

 

MARS

On transporte toujours les mêmes matériaux sur les deux antennes et grosso modo les mêmes tonnages. S'y ajoutent toutefois du foin, de la paille et de l'avoine (24 tonnes en tout, vraisemblablement pour les chevaux des attelages hippomobiles des batteries de position du 156e RAP), 1 tonne de piquets, 12 tonnes de moellons, 12 tonnes de scories et 60 tonnes de matériel téléphonique.

A peine 5 tonnes de munitions prendront le chemin du Hochwald.

 

AVRIL

Le nombre de voyageurs militaires et autres permissionnaires transportés en avril se monte à plus de 9000. Impressionnant ! Locotracteurs et locomotives ont parcouru 11560 km au cours de ce mois, ce qui fait une moyenne journalière de 207 km pour le parc des Schneider et 178 km pour celui des Péchot.

Le tonnage utile transporté est de 3754 tonnes et consiste essentiellement en matériaux de renforcement des positions fortifiées par les troupes d’intervalle.



Pour la première fois apparaît un transport de filtres contre les gaz, d'un poids total de 59 tonnes, soit 196 filtres d'un poids de 300 kg l'unité, caisse de transport comprise ( 230 kg le filtre seul). Seraient-ce là les filtres des ouvrages de la CORF du secteur ayant fait l'objet d'une modification puisque ces derniers ont tous été changés durant la drôle de guerre pour pouvoir filtrer également l'hydrogène arsénié ? Ou encore des filtres de réserve enfin livrés?

Par ailleurs 104 tonnes de munitions sont acheminées vers les têtes d'antenne, mais sans que l'on connaisse exactement la ou les destinations,  mais il est plus que vraisemblable que Schoenenbourg en soit aussi récipiendaire puisque la ligne est désormais ouverte de bout en bout. On peut penser que ce sont surtout les munitions des batteries de 120 de Bange, les deux du Hochwald ayant étant livrées le 10 mars, celle des avants du Schoenenbourg le 15.

 

MAI 1940

Le mois de mai connaît la plus grosse charge de travail, malgré les événements qui s'aggravent à partir du 10. Les 6 Schneider et les 10 Péchot totalisent ensemble 11448 km de roulage. Les Schneider transporteront 2412 tonnes de charge utile, les Péchot 2298.

50 tonnes de filtres expédiés depuis Neubourg sont envoyées à l'ouvrage du Hochwald, soit 166 filtres, ce qui fait à peu de choses près le compte de ceux montés et ceux en réserve de cet ouvrage. Sans doute le fameux échange. Curieusement, ni le rapport d'exploitation d'avril ni celui de mai ne mentionnent un retour de filtres ayant fait l'objet d'échange.

Mais c’en n'était pas fini avec les filtres puisque 49 tonnes soit 163 exemplaires sont déchargés à la gare du Grasersloch (donc pas livrés au fort de Schoenenbourg, mais qui en percevra certainement une partie puisqu'il a une dotation d'environ 83 filtres) !

La ligne du Schoenenbourg étant désormais active, il fallait néanmoins la consolider. Les ballastières de Neubourg firent parvenir 548 tonnes de sable et 426 tonnes de gravier, ce dernier étant déjà entreposé à Soultz.

Une bretelle dite "du transfo" à 7 kilomètres de Soultz étant en cours de réalisation, 80 tonnes de traverses y seront livrées, ainsi que 450 tonnes de sable.

La finition de la traversée du Froeschwillerbach, à 3 km du dépôt de Soultz, nécessita l'acheminement de 270 tonnes de sable, 30 tonnes de dalles et 50 tonnes de fer I

30 tonnes de ciment furent rapatriées d'un chantier de construction situé dans le Grosswald vers le dépôt du génie de Soultz, ainsi que 35 tonnes de palplanches.

Et c'est au profit du Hochwald que  Soultz organisa la livraison de 3 tonnes de planches.

Et c'est encore au Hochwald que l'Intendance fit parvenir 22 tonnes d'avoine.

Toujours en mai, le génie du SFH fit livrer des matériaux de construction au Schoenenbourg depuis le dépôt de Soultz : 15 tonnes de ciment, 15 tonnes de fer, 15 tonnes de ronces.

Puis, dans la foulée, 30 tonnes de fers ronds et 12 tonnes de câbles au Hochwald.

Pour ne pas rentrer à vide, un convoi embarqua 20 tonnes de ferraille à la halte des Sept- Fontaines pour les amener à Soultz.

Puis eut lieu un transport de 15 tonnes de moellons à partir des Sept-Fontaines vers le sud, avec changement de machine au Niederwald. Puis ce fut le dépôt de Soultz qui renvoya 200 tonnes des mêmes moellons, vers la même destination.

480 tonnes de munitions seront livrées au Hochwald, 144 tonnes au Schoenenbourg. Il est probable qu'il fallut 6 rames de 3 plates-formes Péchot pour ravitailler le Schoenenbourg puisque chacune de ces dernières pouvait emporter 8 tonnes de charge utile, et 20 rames pour le Hochwald. Le patron de l'artillerie du groupement, le comandant Rodolphe, mentionnera le 27 mai dans son rapport : "Le Hochwald recevra 26747 coups de 75 mm et 3552 coups de 135, et Schoenenbourg environ 8000 coups de 75 mm . La livraison se fera durant plusieurs nuits. La dotation réglementaire se trouvera non seulement recomplétée, mais encore dépassée d'un quart au Hochwald, de moitié au Schoenenbourg".

A propos des livraisons de munitions la nuit, la raison est la suivante : Une rame chargée d'obus se présenta à l'entrée du bloc 8 du Schoenenbourg. Au moment où les formalités de livraison allaient débuter, le fort fut pris sous un tir d'artillerie adverse. Les militaires du fort refèrmèrent alors les grilles de l'ouvrage et rentrèrent à l'abri du béton, laissant les sapeurs des chemins de fer sous le bombardement avec leur chargement plutôt explosif, ce qu'ils n'apprécièrent guère. A partir de là, ordre fut donné de ne livrer les munitions que de nuit.

L'ouvrage de Schoenenbourg renvoya 15 tonnes d'emballages vides vers le parc de Neubourg.

La gare du Grasersloch sera destinataire de 10 tonnes de scories.

Le transport de troupes et de permissionnaires a encore été intense, malgré la tournure des événements de la mi-mai. Ainsi :

de Soultz au Niederwald (vers Walbourg) : 2236

du Niederwald à Soultz (montée en ligne depuis Walbourg) 2733

du Niederwald à Lobsann : 622

de Lobsann à Niederwald : 213

de Soultz au Grasersloch : 60

soit un total de 5869 passagers

Le 27 mai, le centre régulateur de Soultz eut à gérer divers transports d'un poids total de 427 tonnes. Pour cela, il lui fallut mobiliser tous les moyens humains disponibles.

 

JUIN

Le réseau fonctionne jusqu'au moment où les troupes d'intervalle des régiments de forteresse sont retirées du front. Le 12, arrive un préavis de repli.

D'après le Lt Diné, Chef d'exploitation, la Compagnie 660 reçoit l'ordre de repli le 14 juin 1940 et quitte aussitôt Soultz-sous-Forêts.

 

LA LIGNE DU SCHOENENBOURG

Nous avons vu que la ligne du Schoenenbourg ne sera achevée qu'en mars 1940. Michel Beaumont, qui était sous-lieutenant au 15e génie et chef de la section traction à la Compagnie d'exploitation 660 a écrit : "Si la voie du Hochwald était impeccable, celle du Schoenenbourg était épouvantable et consommait en presque totalité nos équipes d'entretien".



Et encore : "La ligne du Schoenenbourg a été construite en 1938 par des militaires en réalisant les remblais avec de la glaise qui s'est gorgée d'eau, se gonflant avec les gelées pour finalement s'effondrer au dégel".

"Au dégel, la voie du Schoenenbourg s'effondra et il fallut des milliers de fagots pour la maintenir à hauteur, notamment à proximité des ponts. Une Péchot a même fait des tonneaux en déraillant d'un remblai, heureusement sans dommages majeurs pour le personnel de conduite".

 

Le commentaire du Lt Diné est encore plus évocateur : "Les principales difficultés que nous avons rencontrées proviennent du fait que nous avons dû exploiter l'antenne de Schoenenbourg avant qu'elle soit réellement terminée, Pour le mois d'avril, il y eut 6 déraillements d'engins, 7 détresses et 2 déraillements de wagons sur l'antenne".

En fait, comme le montrent les relevés et comme d'ailleurs l'a confirmé le capitaine Stroh (le commandant du génie du fort), il y eut relativement peu de transports par trains à destination  du fort de Schoenenbourg. Il cita de mémoire une demi-douzaine d'arrivages, ce qui serait en concordance avec les relevés du Lt Beaumont. Ce sont ces derniers qui nous ont permis de vous éclairer quelque peu sur cet aspect relativement peu connu de la ligne Maginot.

 

EN CONCLUSION

A l'étude de ces relevés, on se rend compte de plusieurs choses :

- Une bonne partie du tonnage transporté par les trains à voie de 60 à  l'arrière de nos ouvrages sert à la construction, l'entretien et à l'amélioration de leur propre réseau ferré.

- Ensuite, on y transporte beaucoup de matériaux pour effectuer des bétonnages – entre autres MOM - et étoffer ou implanter des réseaux antichars ou antipersonnels.

- On y véhicule un nombre important de militaires rejoignant leur affectation aussi bien dans les ouvrages que dans les intervalles, et de permissionnaires. Il y eut des morts car plusieurs trains de permissionnaires furent attaqués par l'aviation allemande qui mitrailla les wagons transportant les soldats. Quelques locomotives Péchot eurent leur foyer crevé dans l'affaire et une Schneider son pot d'échappement percé par des balles.

- Par rapport à l'activité générale, le transport de munitions y est modeste.  C'est pourtant la mission initiale des trains à voie étroite. Il est fort probable que les magasins des ouvrages étaient pleins à la déclaration de guerre. Comme les consommations étaient faibles jusqu'à la mi-mai, il n'y eut au total que peu de mouvements (763 tonnes, dont environ 178 tonnes au Schoenenbourg, mais il manque les relevés de janvier) et encore, on bourre les magasins bien au-delà de leur capacité.

Ce n'est qu'au mois de juin que les canons débitent à pleins tubes (au Schoenenbourg : 13700 coups entre le 14 et le 25 juin, sur un total de 17200 sur les 10 mois de la campagne), mais là, il n'y a plus de ravitaillement par trains ou autres puisque toutes les unités non combattantes ainsi que la plupart des troupes d’intervalle ont été retirées du secteur.

- Et enfin, il semble que la nourriture des équipages des ouvrages, qui représente pourtant un volume journalier considérable, n'ait pas été transportée par voie ferrée.

 

Jean-Louis Burtscher


- Suite, les restes de la voie de 60 dans la forêt de Haguenau