Historique 1939/40



NOTRE DOSSIER

L’artillerie lourde sur voie ferrée dans le nord de l’Alsace en 1939/40

Nous avons tous lu, à un moment ou un autre, que l’artillerie lourde sur voie ferrée était positionnée derrière la Ligne Maginot et qu’elle était censée effectuer des tirs de représailles.
Pour en savoir plus sur la présence de l’artillerie lourde sur voie ferrée dans notre région, il faut se référer au journal des marches et opérations du 1er groupe du 373e Régiment d’ALVF. En voici un résumé.

Une alerte, le 11 avril 1939, mobilise les actifs, au Centre Mobilisateur de l’Artillerie n° 60, à Mutzig, ceci en application de la mesure n°10. Ils déstockent alors les pièces pour les conduire dans les gares de Walbourg et de Bannstein. A l’issue de l’alerte, les pièces et leurs équipages sont maintenus dans les gares et seront donc sur place à l’alerte de la fin août.

Le noyau actif du 1er groupe comporte 5 officiers, 16 sous-officiers et 108 hommes de troupe qui quittent alors Châlons-sur-Marne pour prendre en charge les matériels et se mettre à disposition du commandement de la 20e Région militaire. Le 16 avril, le groupe est dirigé sur Romanswiller, en Alsace, où se situe son dépôt de stationnement en temps de paix (Ce dépôt était en outre un dépôt de munitions de la 5ème armée) pour ensuite, avec son matériel, être réparti sur deux destinations. Pour cela quatre trains sont nécessaires. 

Le 17 avril, l’état-major du groupe (EMG) et la première batterie sont mis en cantonnement à Walbourg où l’on profite, jusqu’au mois d’août, pour établir et réviser la documentation, et pour instruire les servants. Le 2e groupe (batterie) s’installe à Bannstein (département de la Moselle), et entame immédiatement le creusement des abris, tranchées et postes de tir. Le 27 août 1939, est appliquée la mesure 81. Elle a pour effet de compléter le groupe à son effectif de guerre.

Le 28 août, le noyau actif de l’EMG et de la première batterie quittent le cantonnement de Walbourg et occupent le village de Biblisheim, mais le groupe de combat est maintenu à Walbourg, dans les garages de l’embranchement militaire. Le 30 août, la réception des réservistes est terminée et l’effectif du groupe est alors de 15 officiers, 35 sous-officiers et 335 hommes de troupe.

L’état-major du groupe est composé d’un commandant de groupe (capitaine Depaule), d’un officier de chemins de fer (capitaine Moquin), d’officiers qui ont la fonction d’orienteur (officier orienteur adjoint :lieutenant Buck, officier observateur : lieutenant Antonin?), d’observateur de transmission, de liaison, de médecin. La première batterie est commandée par le capitaine Astruc et les lieutenants Brun et Stoltz sont officiers de batterie. Le capitaine Auclair dirige la deuxième batterie, secondé par les lieutenants Matevet et Gaffniel.

La guerre est déclarée

La guerre est déclarée le 2 septembre, mais ce n’est que le 10 que la première batterie équipe avec des poutrelles la position de tir de Rittershoffen. Objectif : tirs de représailles sur Baden-Baden et Karlsruhe. Le 29, c’est au tour de la seconde batterie de s’équiper sur l’épi de Neuschmeltz. Mais à cette date, il ne s’est encore rien passé. Ce laps de temps est mis à profit pour mettre en condition le personnel, à organiser la protection de la position (servants et matériels) et à entretenir le matériel (chemin de fer et canon).

Le 5 octobre, le PC du groupe qui se situe toujours à Biblisheim est doté de moyens radio, soit un poste ER 13 et un ER 26 ter.

Le 16 octobre, la position de Rittershoffen est survolée par une escadrille d’avions allemands, la DCA entre en action, mais sans résultats.

Le 19, sont confirmés les objectifs qui sont : bombardement des agglomérations importantes des arrières ennemis, soit Baden-Baden et Karlsruhe pour la batterie de Rittershoffen et Zweibrücken et Pirmasens pour la 2e batterie qui tient la position de Neuschmeltz (Fourneau-Neuf).
Mais il faudrait un tir réel avec observation aérienne pour tester l’efficacité de la préparation théorique. Toutes dispositions utiles sont alors prises pour remplir la mission reçue, mais rien ne vient…

Le 20, nouveau survol par un groupe d’avions ennemis, qui déclenche le tir des mitrailleuses de la DCA.

Le 24 octobre, le groupe est avisé que l’état-major du régiment et le deuxième groupe sont affectés à la 5e armée et seront redéployés. Le PC du régiment prendra ses quartiers à Barr.

Pour le 2e groupe, une demi-batterie rejoindra Vendenheim et une autre demi-batterie devra se mettre en position à Kutzenhausen. Cette dernière sera mise à disposition du commandement de la première batterie, déjà en position (PC à Biblisheim). Mais ce mouvement ne sera pas exécuté.

Le 31 octobre, la première batterie signale un survol de chasseurs allemands à basse altitude. Les mitrailleuses font feu sans résultat.

En novembre 1939, un nouveau remaniement a lieu avec une réaffectation des moyens. Ainsi, une batterie du 1e groupe du 373e restera en position à Rittershoffen, la seconde batterie à Fourneau-Neuf. La nouveauté est qu’une demi-batterie (une pièce) du 2e groupe ira occuper la position de Kutzenhausen.

On en profite pour redéfinir les objectifs (qui ne changent pas) et pour étudier la possibilité d’utiliser les courbes de la voie ferrée Haguenau-Wissembourg pour en faire des positions de rechange. Dans cet esprit, le lieutenant orienteur inspecte les courbes de la voie entre Hoffen et Soultz-sous-Forêts, à la recherche de tels emplacements. Deux d’entre elles sont retenues dans un avant-projet, une entre la gare de Hoffen et le village et une autre dans le bois, à 1 km à l’Est du passage à niveau de Niederbetschdorf. L’avant-projet est retenu, il faudra encore l’accord des représentants de la SNCF.

Le 11, la demi-batterie du 373e RALVF (II/373e RALVF) occupe ses cantonnements à Kutzenhausen et reçoit la mission de mettre en place les poutrelles de fer, pour aménager la position de tir.

Le 15, les munitions destinées à cette batterie arrivent à Walbourg, où elles sont transbordées sur le train de la batterie. Le 17, la demi batterie fait mouvement et va occuper la position constituée de deux épis, à Kutzenhausen. Objectifs : Bergzabern et Winden. Le reste du mois de novembre est mis à profit pour peaufiner les schémas de tir, entretenir le matériel et faire une manœuvre avec une section, mais pour l’instant, aucun coup de canon n’a encore retenti.

Le mois de décembre n’est caractérisé par aucune activité particulière, hormis la manœuvre à l’instruction du matériel. Le froid devient intense à partir du 22 et limite les activités de maintenance.

1940

Le mois de janvier n’a permis aucune manoeuvre d’ensemble. La neige tombe à répétition et la température a chuté jusqu’à - 24 degrés. Il a fallu vidanger les locomotives pour éviter les dégâts occasionnés par le gel.

Le mois de février est moins rigoureux que le précédent et a permis quelques manœuvres pour conserver le personnel et le matériel en condition.

Mars est également mis à profit pour faire de nombreuses manoeuvres. Le personnel a suivi des cours spéciaux d’instruction aux armes automatiques, à la radio, etc.

En avril, le retour du beau temps a permis d’envisager la réorganisation des conditions d’observation pour le groupe. Des reconnaissances sont en cours.

Le groupe participe à une reconnaissance de positions de circonstance, tendant à l’application des éléments courbes existant sur le réseau géré par la SNCF.


Remaniement

Le 20 avril, nouveau remaniement. Le groupe est constitué en Groupement d’ALVF fixe appelé à occuper les positions construites ou en voie de construction. Le 2e groupe du régiment est affecté au Groupement d’ALVF mobile appelé à occuper les positions de circonstance. Tous les travaux de reconnaissance affectant ces positions sont remis au 2e groupe.

Début mai, les batteries occupent leurs positions. Toujours pas de tirs.

Le 8, une pièce est retirée de la position de Rittershoffen et joint Walbourg, dans la nuit.
Le 10 mai l’attaque générale déclenchée par les Allemands met tout le monde en alerte.
Les batteries sont prêtes à intervenir sur leurs objectifs respectifs qui sont :
Deuxième batterie (ouest) : Zweibrücken, avec les deux tubes de Fourneau-Neuf
Quatrième batterie (centre) : Bergzabern, avec les deux tubes de Kutzenhausen
Première batterie (est) : Kalrsruhe, avec une pièce à Rittershoffen

L’occupation de la position avancée de Niederroedern est préparée pour une pièce de 340, avec objectifs possibles : Karlsruhe, Durlach, qui sont des nœuds de voie ferrée.

Toutes les positions sont prêtes à 14 heures.
Dans la soirée du 10, les autorisations sont demandées pour acheminer un wagon de poutrelles sur la position avancée de Niederroedern, et un train est mis en position d’attente sur la gare d’Hatten.
Le 11, la position de Niederroedern est prête. Le train de tir est dans la gare de Hatten, le personnel loge au village.

Le 12, vers 9h30, des avions mitraillent la rame de wagons qui est sur la voie de service de la gare de Walbourg. Il n’y a pas de blessés. Deux FM 24/29 ont pris à partie les avions.

A 18h30, l’ennemi envoie quelques projectiles sur Hatten. Pas de blessés. Le personnel logeant au village est évacué, à l’exception de la garde du train de tir en attente dans la gare.

Le 15 mai, un avion ennemi mitraille le garage de combat, comme le 12, pas de blessés.
A 19 heures, la première batterie, en position à Rittershoffen est bombardée par deux pièces de 240 : 20 coups. Pas de blessés.

Le 17 mai, à 9h55, la position de Rittershoffen est bombardée par deux pièces de 105, tirant percutant et fusant. Le tir est un tir de harcèlement sur la voie ferrée (la halte de Rittershoffen -Betschdorf), les villages de Ober et Niederbetschdorf, encore occupés par leurs habitants, sont bombardés fusant. Le commandant du groupe parti pour rejoindre son unité est obligé de se réfugier dans une cave d’Oberbetschdorf. Il profitera d’une accalmie pour rejoindre l’unité.
On apprend, par le commandant du génie chargé des obstructions que la voie entre la gare de Hatten et Niederroedern a été déposée, la position avancée ne peut plus être occupée (ni déplacée). Ordre sera donné, en haut lieu, de rétablir la voie.

Repli partiel

Le 18 mai, arrive l’ordre de replier la pièce de Hatten et celle de Rittershoffen.
A 18h30 le commandant de la première batterie rend compte que la position de Rittershoffen, survolée par un avion, est bombardée par du 240, depuis l’est, au delà du Rhin. Le tir dure une heure. RAS.

Mais un ordre de l’armée enjoint de récupérer les poutrelles de Rittershoffen. Il faut alors organiser une corvée. Mais on apprend que les aiguillages de la voie de Hatten - Niederroedern ont sauté. Une équipe de vingt hommes se chargeront de rapatrier les 68 poutrelles pesant 250 kg chacune. Il faudra quatre camions pour en assurer le transport.

Au 15 mai, la situation est la suivante : la batterie de Foureau-Neuf est en position d’alerte sur ses épis, tout comme celle de Kutzenhausen.
Une pièce est toujours au garage de combat de Walbourg.

Le 21, une rafale de quelques coups de 105 tombe à 200 m de la position de Kutzenhausen. RAS.

Le 30 mai, nouvelles directives avec changement de mission données aux batteries.
Foureau-Neuf : terrain d’aviation de Zweibrücken et Pirmasens, plus deux carrefours.
Kutzenhausen : gare et carrefour de Bad Bergzabern
Rittershoffen : terrain d’aviation de Baden Baden et Karlsruhe.

Toujours pas de tirs.

Le 3 juin, le groupe est chargé de faire équiper une position de circonstance à Hoffen, en vue de tirs de contrebatterie sur une batterie ennemie. Une pièce de 340 de la 4e batterie est désignée.

Le 8 juin, la situation est la suivante :
1e batterie : garage de combat de Walbourg
2e batterie : position de tir de Fourneau-Neuf
4e batterie, position de tir de Kutzenhausen

Repli général

Le 12 juin, le commandement avise le chef d’escadron que le groupe doit prendre ses dispositions en vue d’un déplacement. Les instructions sont à prendre au PC de Walbourg.
A partir de 23h30, les officiers reçoivent l’ordre de faire déséquiper les positions de toutes les batteries. Les travaux doivent être faits le plus rapidement possible.
Le commandant du 2e groupe devra se rendre au PC de Mommenheim, pour prendre les instructions, où le rejoint le commandant du 1e groupe.
Confirmation est faite du déplacement du premier et du deuxième groupe du 373e RALVF à destination de Dijon, pour être mis à disposition de la 5e Armée.

Le deséquipement doit être complet, le délai d’enlèvement des pièces allant jusqu’à 21h.

Nombre de trains prévus :
1 train d’Etat-major avec la réserve de munitions, à prendre à Haguenau. Détail :
1er train de la 1e batterie, capitaine Astruc,
2e train de la 1e batterie, lieutenant Montgeois
1er train de la 2e batterie, lieutenant Schertz
2e train de la 2e batterie, capitaine Moquin

Le travail de déséquipement est important. Il manque des wagons plats.
Les véhicules auto partiront en convoi.

13 juin, 16h15. Les locomotives venant de Reding ne sont toujours pas là.
A 19h les locomotives pour trois trains arrivent, pour enlever la 4e batterie. La rame est dirigée sur Kutzenhausen. Les machines sont sans fourgon, ce qui inquiète le chef de gare.

A 22h40 le premier train est enfin en route, suivi, à 24h, du second.

Le 14 juin, à 1h, la colonne auto démarre, à destination de Saverne.
A 2h, c’est le tour du train d’état-major.
A 3h, part le train de la 4e batterie, destination Haguenau, Saverne, Sarrebourg en faisant un détour par Schweighouse. Les trains d’ALVF s’écoulent normalement, mais le contrôle est difficile puisque les trains ne sont pas identifiés par les gares.

Le train du capitaine Astruc est retrouvé à Avricourt. Tout va bien, il n’y a pas d’échange de locomotives, les équipes assurant les permanences. Puis ils sont signalés à Epinal où ils subissent quelques mitraillages.

Ainsi, le 14 juin, l’ALVF a quitté le Nord de l’Alsace, où elle aura été présente 11 mois et où elle n’aura tiré aucun obus, pour des tribulations qui dureront encore une dizaine de jours. 

La 1ère batterie du 373ème RALVF comprenant 2 pièces de 340mm a disparu dans la région d'Epinal.

La 4ème batterie du 373ème RALVF comprenant quatre 274mm subit le même sort, deux pièces de 274mm ont disparu, deux autres furent capturées  dans la région de Chagny.

Après 1940

A l’armistice de 1940, les Allemands récupèrent toutes les pièces ALVF et les emploient sur l’Atlantikwall ou dans leurs campagnes à l’Est (sièges de Sébastopol, Leningrad).


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