Edouard TERNOIR - Les combats


Vers 17 heures 30, le guetteur d'Aschbach Ouest a remarqué une présence insolite dans un arbre du ravin Miconnet. Il n’y avait pas de doute, l'ennemi s'est infiltré dans le ravin en faisant un grand détour. L'intervention de l'artillerie de Schoenenbourg a été demandée aussitôt. Les artilleurs ont répondu avec une rapidité et une précision qui leur font honneur. Dans le ravin, il a dû y avoir un certain affolement. Le personnel de la chambre de tir a du intervenir avec le jumelage car l'ennemi à cherché à traverser le réseau-rail. Les cloches de tir et de guet ont également dû intervenir car des Allemands sortant à l'autre extrémité du ravin cherchaient à atteindre le bourg d’Aschbach. A noter que le ravin Miconnet était défendu par un blockhaus tenu par les soldats Rossi et Boudault qui ont été trouvés morts à leur poste le matin même. Ils avaient été tués au cours de la nuit par un obus de rupture.

Les Français ont donc perdu cinq des leurs ce jour là dans le sous-secteur de Hoffen.


Les blockhaus du ravin Miconnet



Vers 18 heures, le calme est revenu. Deux membres de la casemate d'Aschbach Ouest ont alors effectué une liaison avec Aschbach Est. Là, tout le personnel avait gardé un très bon moral bien qu'une cloche de guet avait été fortement endommagée par les tirs d'un canon de 88mm installé près de Buhl. Cette même pièce s'était également acharnée sur Aschbach Est où la paroi avant avait été endommagée à gauche de la cloche de tir. Les cache-flamme du jumelage avaient d'ailleurs été endommagés.

Vers 19 heures, une liaison téléphonique a pu être établie entre Aschbach Ouest et le P.C. du capitaine Quinet. "Tout va bien mon capitaine, aux deux Aschbach nous tenons le coup. Tout semble normal à Oberroedern Nord.". Quel soulagement pour le capitaine qui avait toutefois une mauvaise nouvelle à annoncer : la mort du sergent Delsart. Le capitaine Quinet a donc gardé le contact avec sa compagnie.

La nuit a été calme, le lendemain quelques obus sont encore tombés sur les casemates, mais l'infanterie n'est plus intervenue. La porte de la casemate d'Aschbach Ouest a été touchée par un obus de rupture tiré de l'arrière, mais il n'y a pas eu trop de mal.

Un gradé débrouillard d’Aschbach Ouest avait réussi a faire fonctionner son poste radio. Le personnel était donc au courant de ce qui se passait sur le territoire français. Il a même eu connaissance de l'appel du 18 juin lancé depuis Londres par le général De Gaulle.

Les jours qui suivirent étaient calmes et les équipages vivaient dans l'attente "gardant le doigt sur la détente" prêts à reprendre le combat. Personne ne se considérait vaincu. On avait encore des munitions et de la nourriture. Il n'y avait que le sel qui nous manquait. La réserve de sel était remplacée régulièrement. Le lot avait été retiré mais l'intendance n'a pas eu le temps de le remplacer. Un petit détail qui nous faire rire actuellement.

Puis on a commencé à enterrer les morts, nos camarades d'abord, puis les allemands restés sur place. Il y en avait douze pour les trois casemates.

Dans le ravin Miconnet, ce fut la surprise. Le personnel de la casemate d'Aschbach Ouest y a trouvé huit cadavres et un important matériels, des armes de toutes sortes, des paquetages et même un énorme drapeau à croix gammée. Le 28 juin, ces morts ont été enterrés, le drapeau leur a servi de linceul. Les Français leur ont même rendu les honneurs militaires observés de loin par les rescapés du carnage. Ceux-là ont pu se rendre compte que la devise des gens du béton " ON NE PASSE PAS " était bien une réalité. Le lendemain, une délégation allemande est venue recenser les morts et récupérer le matériel abandonné. Un membre de cette délégation, le Gefreite Freytag s'est dépêché de récupérer son (Tornister ) sac à paquetage

Tout le monde fustigeait les "Ratsch-Boum", C'est ainsi que les Allemands appelaient nos canons de 75 mm. Des engins du diable comme ils disaient. Ils étaient peu loquaces mais ont néanmoins reconnu avoir subi de très lourdes pertes.

Nos camarades ont d'abord été enterrés sur place, puis ils ont été regroupés près de l'abri du Grassersloch. Finalement, les autorités allemandes leur ont réservé une parcelle au cimetière de Hoffen.

Dans les casemates, on vivait dans l'attente. Les ordres et contre-ordres se succédaient. Puis on a pu entendre à la radio: " La non reddition sans condition constituerait une violation au traité d'armistice et nous ne tarderons pas à reprendre les hostilités".  L'ennemi a donné son avis, il était clair.

A compter du premier juillet, les équipages se sont mis en route pour rejoindre des cantonnements à l'arrière, convaincus qu'ils seront dirigés sur la zone libre. Hélas on connait la suite.

A Haguenau, par exemple, le sinistre Robert Ernst, un alsacien expulsé en 1919 a fait le tour des casernes pour annoncer aux combattants qu'ils étaient bel et bien prisonniers. Il a même ajouté que les Alsaciens seront libérés et que des mauvaises langues prétendaient qu'ils seront libérés pour être incorporés dans l’armée allemande. Lorsque nous aurons besoin des Alsaciens, a-t-il ajouté, la guerre sera perdue pour nous......... Là aussi, on a connu la suite.

Donc le premier juillet, le drapeau français flottait encore sur les casemates de la Ligne Maginot, notamment dans le secteur fortifié de la Lauter. Or le 19 Mars 1945, à une vingtaine de kilomètres au Nord d'Aschbach, a Scheibenhardt en Allemagne, les éléments avancés de la 5eme Division Blindée du Général De Lattre de Tassigny ont planté le premier drapeau tricolore en territoire Allemand. Ce jour là grâce au fair play des Américains, le 96eme Bataillon du Génie sous les ordres du Colonel De Douhet, a lancé le premier pont sur la Lauter, permettant ainsi au 4eme Régiment de Tirailleurs Tunisiens ainsi qu'au 6eme Régiment de Chasseurs d'Afrique de prendre pied en territoire Allemand. A noter qu'il y a deux villages de Scheibenhardt, l'un en France, l'autre en Allemagne.

Le 29 mars 1945, d'autres éléments de la 5eme D.B. ont établi leur cantonnement à Hoffen. Parmi eux il y avait le tireur de la cloche Aschbach Ouest. Il avait fait ce jour là en Jeep, mais en sens inverse, exactement le même chemin qu'il avait parcouru entre Haguenau et Hoffen le 2 juillet l940. Avec ses camarades, il s'est incliné sur la tombe de nos héros du 20 juin 1940 :

Il a eu également une pensée pour Gilbert Chausson, mortellement blessé près de Trimbach, au cours d'un engagement du Groupe Franc du 79ème R.I.F. Ce groupe franc était commandé par le lieutenant Beck qui a été blessé ce jour là. Le lieutenant Beck avait comme adjoint le sergent-chef Marcel Bigeard, le futur Général Bigeard qui parle de cet épisode dans son livre "Pour une parcelle de gloire".

Gilbert Chausson a été enterré au cimetière militaire de Haguenau. Sa tombe se trouvait en bordure de l'allée transversale où, pendant l'occupation, elle a été entretenue avec beaucoup de soins par Victor Gass qui se trouvait avec lui lorsqu'il a été blessé. Cette tombe représentait pour les habitants de Haguenau une parcelle de terre de France et nombreux étaient ceux qui allaient s'y recueillir lors de leur passage au cimetière. Les nazis n'appréciaient pas tellement cela et Victor Gass a même effectué deux séjours au sinistre camp d'internement de Schirmeck.

Un casemateux : Edouard Ternoir  67540 Ostwald

P.S. : Il semblerait que le Oberst Von Der Heyde aurait publié ses mémoires de guerre. Dans son livre il parlerait évidemment des combats de la Ligne Maginot et dit: " L’armée Allemande s'est déshonorée en retenant comme prisonniers de guerre les combattants de la Ligne Maginot pourtant invaincus au moment de la signature du traité d'armistice."



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