Effets sur le personnel du bombardement par avions de Casemate Nord d'Oberroedern.
La casemate soumise déjà à plusieurs reprises à des bombardements intenses d’artillerie de moyen calibre avait résisté de telle sorte que la confiance dans le béton était entière chez tous. Hors le stationnement dans les cloches où régnait l'insécurité au cours de ces bombardements, la vie intérieure continuait sans que le moral fût aucunement affecté pendant ces tirs.
Dans la journée du 20 juin, le personnel de l'équipage se trouvait en état d'alerte permanent. La casemate avait été la veille l'objet d'une tentative d'assaut facilement repoussée par les feux des FM de cloche et chacun était attentif à son poste de combat.
Soit 2/3 de l'effectif aux armes: 20 hommes
Soit 1/3 de l'effectif au repos: 10 hommes
Le personnel étant réparti:
Chambre de tir N-O. : 6 plus chef de casemate
Chambre de tir S-E. : 4
Cloche de mitrailleuses: 3
Cloche de guetteur O. :2
Cloche de guetteur E. : 2
Central téléphonique : 1
Chambre de repos (1) : 4
Chambre de repos (3 et 4) : 3 plus 3
Créneaux de défense rapprochée : 2
C'est dans cette situation que vers 15 h 30 la nouvelle de bombardements par avions sur l'ouvrage de Schoenenbourg et les casemates du bois de Hoffen me parvint par téléphone. L'impression recueillie auprès du chef de la casemate ouest du bois de Hoffen nous préparait à accueillir avec confiance un bombardement éventuel sur notre casemate.
Quelques minutes après cet échange d'impressions, nous étions sous le coup d'en juger par nous-mêmes.
La première bombe tombée dans l'enceinte communiqua à l'ensemble de la casemate une vibration "d'un seul bloc" qui ne peut mieux être caractérisé que par l'expression du lieutenant Didier (G. 17) recueillie quelques instants auparavant: " On se croirait en bateau. "
D'ailleurs, nous n'eûmes pas le loisir de méditer sur ces effets, la deuxième bombe, en effet, était au but et le résultat fut tout différent.
Je me trouvais personnellement dans la chambre de tir N.-O., l’œil à la lunette du canon de 47 pour examiner le ciel où continuait à évoluer en toute quiétude les bombardiers ennemis. Soudain, une accélération de moteur au-dessus de nous, la plainte sinistre de l'avion qui pique ou de la bombe sur sa trajectoire et nous étions touchés.
De ma place, j'ai recueilli une impression d'écroulement quasi total.
Violemment rejeté sur le côté, je me trouvais dans l'obscurité. Au milieu d'un vacarme de courte durée (chute de munitions dans les casiers, chutes de caisses et de matériel divers), je distinguais les cris de panique de plusieurs hommes de l'équipage. Sans prendre le temps de la réflexion, je me précipitai au central téléphonique pour constater qu'il était déplacé de son siège et hors d'usage.
Des hommes, plus un seul n'était à son poste et tous, d'un élan instinctif, se bousculaient dans toutes les directions, cherchant à mettre leur masque pour parer a l'éventualité d'un danger d'intoxication.
En effet, à la poussière de béton et de plâtre se mêlait une âcre odeur d'explosif rendant l'atmosphère irrespirable. L'instinct de chacun à cet instant était de gagner l'abri inférieur, sans doute pour y trouver un abri plus sûr.
Moi-même, persuadé que l'étage supérieur avait été atteint et ne résisterait pas aux prochaines bombes au but, j’engageais tout le monde à descendre, d'autant que les bombes continuaient à tomber dans l'enceinte, secouant toujours la casemate.
Visitant l'étage supérieur, je m'aperçus que l'armement ne semblait pas avoir souffert.
Rejoignant l'équipage au sous-sol, je fus surpris par une forte odeur de chlore et pensai à mon tour à une toxicité possible de l'atmosphère. Entre-temps. le groupe électrogène avait ramené la lumière et la ventilation (un ventilateur sur deux fonctionnait). Petit à petit, l'atmosphère se clarifiait et cette odeur disparut.
Je procédais aussitôt à l'appel de l'équipage regroupé sur mon ordre dans la chambre des ventilateurs. Le fait qu'il n'y avait pas de blessé détendit un peu les traits de tous et, dans la minute qui suivit, tout le monde reprenait son poste sans hésiter pour repousser l'assaut qui avait suivi immédiatement la chute de la dernière bombe.
Je ne peux mieux caractériser l'effet moral du coup malheureux qui frappa la Casemate qu'en décrivant mes impressions propres sur le coup même.
Je ne me suis plus départi depuis cet instant et jusqu'à la fin des hostilités d'un manque de confiance dans le béton lequel ne me semblait pas à l'épreuve des projectiles qui nous atteignaient. le fus d'ailleurs confirmé dans ma conviction en constatant le soir même la brèche énorme créée dans le mur extérieur. Ce qui amenait le jour dans la chambre de repos N.-O. de l’étage inférieur. Cette impression que je combattais chez tous était bien évidemment partagée par chacun, et au cours du bombardement du lendemain, je revis les mêmes figures atterrées dès que l'on entendit le premier moteur d'avion. A noter d'ailleurs que les secousses furent d'autant plus violentes le 21 que la casemate était déjà fortement atteinte. Par bonheur, aucun coup ne l'atteignit directement ce jour.
J'ai le sentiment que beaucoup de résolutions étaient prises et je vis plusieurs hommes de l'équipage prier et solliciter une autre protection que celle du béton.
L'effet physiologique fut moindre sur le personnel. C'est par miracle que les hommes couchés dans la chambre voisine de la brèche ne furent pas blessés. Une cloison en briques s'abattit sur les couchettes et ne fit que quelques bosses.
Cette cloison a d'ailleurs, â mon avis, brisé l'effet du souffle et fut leur sauvegarde.
A part les quelques cris de panique et les quelques gémissements qui suivirent l'explosion de la bombe, chacun put se ressaisir dans un délai très court.
Le plus caractéristique de l'effet physiologique et qui se constata dans plus d'un local de la casemate... fut une violente colique générale qui n'épargna personne.
Je persiste, en conclusion, à prétendre que dans le cas particulier de la casemate Nord d'Oberroedern, une protection plus forte que celle du béton permit à l'équipage de sortir au complet des décombres au lendemain de l'armistice.
Lieutenant – Colonel Henri VIALLE
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