Colonel André SUDRAT

DU COTE DE SCHOENENBOURG - 1930/1933

On a beaucoup écrit sur l’histoire et les événements qui se sont déroulés sur la Ligne Maginot en 1939/40, mais peu de choses ont été rapportées sur la construction de ces fortifications. Le témoignage que nous livre ici le Colonel SUDRAT vient en partie combler ce vide, d’autant plus qu’il nous parle de cette partie du S.F.H qui nous concerne directement. Après l’Ecole des Travaux Publics et le service militaire, l’auteur travailla cinq ans à l’annexe du Génie de Hunspach pour diriger la construction des casemates de Hoffen à Ingolsheim, des abris de Hoffen au Grassersloch; c’est cette tranche de sa vie qu’il raconte ici. Comme ses collègues d’alors, il a construit la «Fortif». C’est à l’accomplissement de tels hommes qu’est due la qualité des ouvrages auxquels le historiens de l’avenir rendront justice.

Après 1940, prisonnier en Allemagne pendant cinq ans, il y finit en camp de représailles. Il participa ensuite aux opérations d’Indochine en tant que commandant du Génie du Groupement NAVARRE à Dien Bien Phu ou il y subit encore six mois de pénible captivité. Après sa convalescence, il repartit en Algérie, cette fois. Madame Sudrat y mourut en 1956. Ayant été à la fois ingénieur et soldat, il prit sa retraite en 1965 avec le grade de Colonel et d’Officier de la Légion d’Honneur. Il venait en Alsace, chaque année, depuis le Tarn et Garonne avec son camping car il aimait retrouver Hunspach et les amis qu’il s’y était fait. Il décéda fin 1986, peu de temps après nous avoir légué le récit suivant :

LA LIGNE MAGINOT - SA REALISATION

Il a été beaucoup parlé et écrit sur la Ligne Maginot, sur son utilité, sa conception, son combat, mais peu de choses ont été dites sur la fa\on dont elle fut construite, sur sa réalisation sur le terrain. Les jeunes de l’ALMA, cette association qui s’est donnée pour but de remettre en état une partie des ouvrages du Secteur Fortifié de Haguenau et de les faire connaître et visiter sont préoccupés de savoir comment on a pu réaliser ce travail colossal alors que n’existaient pas encore les moyens actuels qu’ils connaissent et voient employer tous les jours.

C’est pour eux que j’ai rassemblé ici quelques souvenirs. Ce sont ceux d’un des constructeurs d’abord, d’un combattant et d’un défenseur ensuite de cette prestigieuse fortification.

LE SERVICE DU GENIE, SON ROLE.

Pour réaliser les travaux exceptionnels qui allaient incomber au Génie il fallait organiser toute une infrastructure spéciale. Dès 1929 furent crées les Directions des Travaux de Fortification. En Alsace, il y en eut une à Strasbourg. Ces Directions étaient des émanations directes de la Commission d’Organisation des Régions Fortifiées (C.O.R.F). Elles furent chargées d’étudier l’implantation des ouvrages, des casemates d’intervalle, des observatoires, des abris qui devaient constituer l’ossature de la ligne fortifiée. En basse Alsace, la Direction des Travaux de Fortification de Strasbourg fut chargée d’implanter ce qui deviendrait la Région Fortifiée de la Lauter.

Pour l’exécution des travaux sur le terrain on s’appuya sur les Chefferies du Service du Génie existantes et en créa des nouvelles. C’est ainsi qu’à Strasbourg fut crée la Chefferie des Fortifications de Strasbourg qui eut à s’occuper des travaux depuis le Rhin jusqu'’au delà de LEMBACH, c’est à dire sur l’étendue du futur Secteur Fortifié de Haguenau (S.F.H). Le terrain fut découpé en quatre tranches:

Chaque tranche était elle-même découpée en annexes. C’est ainsi que l’annexe de Hunspach s’occupait des ouvrages depuis l’abri de Hoffen jusqu’à celui de Grassersloch, depuis les casemates de Hoffen jusqu’à celles d’Ingolsheim, de l’observatoire d’Hunspach et enfin de l’ouvrage de Schoenenbourg.

Au début, ces annexes étaient gérées par un Ingénieur et je fus celui de Hunspach assisté de techniciens, conducteurs et surveillants de travaux, dessinateurs et agents de bureau. Un adjudant du Service du Génie s’occupait surtout des approvisionnements en matériaux de l’Etat et un adjudant du Matériel de l’Artillerie de la réception des cuirassements. Il fut même nécessaire de construire à Hunspach une maison pour abriter les bureaux et deux logements pour ces sous-officiers. Plus tard, quand débutèrent les travaux de l’ouvrage de Schoenenbourg, un lieutenant du Génie fut affecté à l’Annexe. Ce furent le lieutenant Sarramegna d’abord puis le lieutenant Castagnoni à Hunspach. Toutes les annexes eurent alors un lieutenant à leur tête.

LES ENTREPRISES ET LEUR PERSONNEL

Les entreprises chargées de l’exécution des travaux étaient choisies à l’échelon Chefferie, donc à Strasbourg pour la basse Alsace. Elles étaient appelées à soumissionner sur le plan national et un premier tri était effectué d’après les travaux qu’elles avaient déjà exécutées ainsi que d’après leurs capacités financières. Cependant, par exception, un groupement de quatre entreprises du Bas-Rhin fut admis à soumissionner et construisit les casemates d’Ingolsheim, de Hunspach et les abris de Schoenenbourg et de Grassersloch. Une grosse entreprise parisienne réalisa l’ouvrage de Schoenenbourg, l’observatoire de Hunspach, les casemates du moulin de Hunspach. Une entreprise messine s’occupa du gros ouvrage du Hochwald.

Les entreprises agréées, après soumission, les marchés étaient passés sur Série de prix et ceci par suite de la difficulté de définir exactement les travaux à réaliser en raison de la très grande diversité des terrains rencontrés et des modifications qui pouvaient être apportées sur place aux plans initiaux des bureaux d’étude par suite entre autres des réalisations, dans le même temps, des cuirassements, armements et matériels de tous ordres à mettre en place, par la suite, dans le béton. A noter dans ces marchés des clauses prévoyant la fourniture par l’Etat du ciment et des fers à béton. Ces matériaux firent l’objet de marchés de fournitures passés à l’échelon national directement avec les aciéries et les cimenteries.

Ainsi le ciment arrivait, par wagons entiers, dans les gares de Soultz sous Forêts et de Hunspach et fut stocké dans ces gares dans les dépôts construits à cet effet. Repris ensuite par camions, il était entreposé dans des baraques de chantier par quantités réduites correspondant à un bétonnage. Un personnel nombreux du Génie était donc nécessaire pour comptabiliser ces matériaux et les délivrer judicieusement et sans gaspillage aux entreprises.

Il en était de même pour les fers à béton qui pourtant n’étaient que de trois dimensions : diamètre 10mm, 15mm, 20mm ce qui simplifiait tout de même la comptabilité. Une autre clause permettait de consentir des avances financières sur matériels, ce qui allégea la situation financière des entreprises et leur permit de s’équiper et de faire face à la masse considérable des travaux et aux délais d’exécution draconiens et assortis de pénalités pour retard.

Les entreprises de leur côté avaient besoin d’un personnel abondant. Il fallut faire appel à des travailleurs étrangers en plus de la main d’oeuvre locale cependant assez nombreuse. Le pourcentage d’étrangers resta faible mais nécessita cependant un contrôle de police très sévère et l’implantation d’un bureau spécial à Wissembourg. Ces travailleurs provenaient surtout d’Italie, de Pologne et de Yougoslavie. Les entreprises durent les loger dans des baraquements sur les chantiers mêmes et organiser des cantines pour subvenir à leurs besoins.

ROLE DU SERVICE LOCAL DU GENIE

Le personnel du Service du Génie eut un rôle administratif et technique. La Chefferie à Strasbourg passait les marchés et réalisait les études et les plans d’exécution. Le personnel sur le tas surveillait la bonne exécution des travaux et prenait en charge ceux exécutés en régie. Il métrait et appliquait la série des prix après attachement contradictoire avec les entrepreneurs. Il comptabilisait et délivrait les matériels fournis par l’Etat: essentiellement ciment spécial et fers à béton. Il surveillait de très près notamment la mise en oeuvre du béton en travail continu de jour et de nuit ce qui nécessitait alors le concours du personnel des tranches voisines pour quelques jours.

EXECUTION DES TERRASSEMENTS

Presque tous les blocs possédaient un étage en sous-sol. la profondeur de la fouille dépendait de la cote de l’arme de la chambre de tir. Il était donc essentiel que cette cote soit fixée avec une très grande précision ainsi que l’emplacement et la direction de l’arme sur le terrain. Un officier de la Direction des Travaux était spécialisé pour cette détermination et était responsable de l’exactitude de ce point de départ.

Les fouilles étaient faites en général à la pelle et à la pioche avec brouettes et wagonnets Decauville pour l’évacuation des déblais. En certains ouvrages comprenant plusieurs blocs rapprochés ou de très gros terrassements comme ceux du fossé du Hochwald, des pelles mécaniques diesel et parfois à vapeur furent employées. Les bulldozers d’usage si courant de nos jours n’étaient pas encore connus. Pour ma part, je vis et employais la première fois les premiers de ces engins sur des chantiers de casemates dans la région de Sierentz, au sud de Mulhouse, en 1938 seulement.

La terre des fouilles d’un bloc était mise en dépôt en avant de celui-ci pour servir ultérieurement à confectionner le futur glacis devant la casemate.

La fouille comprenait l’emplacement même du bloc mais aussi la place du massif de rocaille épais de 3 à 4 mètres qui devait protéger le béton contre les effets des obus à retard. En cas de terrain rocheux ou de marnes très dures il fallut employer marteaux piqueurs et pelles bêches à air comprimé en général. Tous ces travaux n’étaient nullement camouflés; la grande dimension et le nombre des chantiers, la foule des ouvriers qui y travaillaient parfois jour et nuit auraient rendu pour cela toute tentative illusoire. Par contre, les plans et la nature de l’armement étaient tenus top secret.

LE BETON

Le béton était un béton spécial de fortification dosé à 400 kg de ciment spécial par mètre cube de béton, de 400 litres de sable siliceux 0,8/6,3 et 900 litres de cailloux durs 20/60. Le ciment était du Portland 315-400 à haute résistance initiale. le dosage était donc plus fort que celui utilisé pour le béton armé courant. C’était un béton de haute résistance et il le prouva avec le peu d’effet qu’eurent sur lui les obus de 420 et les bombes de 1000kg.

La fortification de Séré de Rivière aux forts autour de Verdun, Metz et Toul était en maçonnerie et béton non armé. En les modernisant à partir de 1917 on recouvrit les voûtes d’une carapace de béton avec un ferraillage par couches horizontales de mailles carrées. Or si ces dessus n’ont pas fléchi sous le déluge d’obus qui s’abattit sur eux à Verdun on put toutefois remarquer deux défaillances gênantes pour les occupants et défenseurs: les couches de béton successives se délitèrent sur les bords en se dépliant comme les feuilles trop lourdes d’un livre et, à l’intérieur le béton se détacha par endroits sous la forme d’un ménisque dangereux pour les occupants.

Ces deux remarques incitèrent les concepteurs de la ligne Maginot à relier les couches de fers horizontaux par un ferraillage vertical très sérieux joignant le radier au dessus de la dalle de couverture et à éviter la formation des ménisques par un plafond blindé formé de tôles épaisses assemblées par rivetage sur des coins de cornières allant d’un mur à l’autre.

Il n’était cependant pas possible de couler tout le béton d’une seule masse, ce qui aurait été l’idéal. Il fallut se résoudre à le couler par phases successives, les moins nombreuses possibles. Elles furent donc les suivantes :

1 - Coulage d’un léger béton maigre au fond de la fouille

2 - Mise en place de tout le ferraillage vertical qui partait d’une seule pièce du béton de propreté jusqu’au dessus de la dalle et maintenu en place par des gabarits horizontaux épousant le plan des murs et cloisons.

3 - Coulage du radier proprement dit avec ses couches de fers horizontaux se croisant avec les verticaux et liés à eux à chaque point de rencontre.

4 - Mise en place des coffrages du sous-sol en y aménageant les vides nécessaires pour les passages de câbles ou gaines qui devaient être prévus à l’avance, avec une grande précision.

5 - Bétonnage des murs du sous-sol et du plancher de l’étage avec les couches de fers horizontaux tous les 15 cm, sans oublier les fers laissés en attente pour l’accrochage futur des escaliers.

6 - Mise en place des coffrages de l’étage y compris les blindages du plafond, les vides pour les créneaux et les différentes gaines de ventilation ou de passage de câbles.

7 - Bétonnage des murs de l’étage et de la dalle avec toujours ses nappes de fer tous les 15 cm et en ménageant l’arrondi important qui terminait la dalle sur tous ses bords.

La mise en place du béton ne pouvait se faire commodément qu’en le coulant depuis le haut à cause de la forêt des fers verticaux. Il fallut donc construire de véritables ponts en bois qui enjambaient l’ensemble; deux systèmes étaient alors possibles: soit les batteries de grosses bétonnières installées au sol et les wagonnets de béton montés sur le pont par des rampes munies de treuils mécaniques, soit les bétonnières fixées sur le pont lui-même, les godets d’alimentation de celles-ci descendant alors jusqu’au sol.

Les approvisionnements en sable et en gravier étaient stockés longtemps à l’avance à l’aide de norias de camions. A partir de ces immenses tas, des wagonnets sur voie Decauville (voie de 60) approvisionnaient directement les bétonnières. De même le ciment était emmagasiné sur place et les fers façonnés à longueur voulue et mis en tas par catégories et longueurs.

Le béton était déversé dans les coffrages à l’aide de goulottes mobiles. Il était régalé à la main, damé à la main puis tassé mécaniquement par vibrateurs à table ou aiguilles vibrantes à air comprimé ou électriques.

Dans certains gros ouvrages comme le Hochwald des centrales à béton sont organisées par groupes de blocs avec chargeuses mécaniques d’agrégats, le béton étant alors distribué par voie de 0,60. De même il y eut des centrales à air comprimé alimentant les engins de chantier par des tuyauteries jusqu’à 7 km des distance (Hochwald). Les épaisseurs de murs et dalles étaient variables suivant la protection recherchée:


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! Protection     !    Dalle     ! Murs exposés  ! Murs arrières!
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!     n°4        !   3,50 m     !    3,50 m     !   1,50 m     !
!     n°3        !   2,50 m     !    2,70 m     !   1,25 m     !
!     n°2        !   2,00 m     !    2,25 m     !   1,00 m     !
!     n°1        !   1,50 m     !    1,70 m     !   1,00 m     !
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On s’aperçoit en lisant ce tableau que la protection contre les bombardements aériens n’était pas prévue, sinon les murs auraient eu partout la même résistance.

Enfin le bétonnage de chaque phase ne devant pas être interrompu, les chantiers devaient être éclairés la nuit à l’aide de groupes électrogènes et plus rarement par raccordement au réseau quand celui-ci était à proximité.

FINITIONS

Le béton était revêtu d’un enduit au ciment à trois couches, l’enduit du dessus des dalles étant étanche (600 kg de ciment spécial par m3 de sable). Le massif de rocaille destiné à protéger le mur avant contre les obus à retard avait 3 à 4 mètres d’épaisseur et descendait à 45° jusqu’au bas de la fouille. Ce massif était constitué de pierres dures calibrées de 5 à 25 cm environ.

Le glacis devant les casemates et devant les créneaux de tir était ensuite profilé de manière à ce qu’il n’y ait aucun angle mort. Il devait être battu par le tir des armes des blocs voisins chargés de défendre l’ouvrage et dont les feux devaient se croiser sur ce glacis Il devait aussi pouvoir être balayé par le tir des armes de défense du bloc lui-même.

Toutes ces contraintes ont amené à modifier très sensiblement le terrain naturel initial. Chaque point du glacis devant être vu par deux armes au moins il fallut en certains endroits utiliser un profil mixte alignant déblais et remblais afin de diminuer les apports de terre et n’utiliser que la terre des propres fouilles du bloc, autant que possible.

LES PUITS D’ACCES

Les puits permettant d’accéder des blocs aux galeries souterraines étaient toujours de grandes dimensions (7m x 5m environ à l’abri du Grassersloch). Bien souvent en plus de l’escalier qui tournait le long des parois un ascenseur en occupait le centre et il devait aussi laisser le passage aux gaines de ventilation et aux câbles de conduites diverses.

Le boisage de leurs fouilles était donc considérable et des arbres entiers étaient nécessaires pour le réaliser. Lors du bétonnage des parois le boisage était enlevé au fur et à mesure de la montée du béton, le relais étant alors pris par l’étayage des coffrages afin de contenir la poussée du terrain jusqu’à la prise complète du béton. Dans certains puits, l’entreprise employa des étais métalliques qui purent alors être abandonnés en partie dans le béton. Dans d’autres puits, on essaya de descendre la paroi entière par havage. La difficulté était alors de maintenir avec rigueur la verticalité de l’ensemble.

En fait, le mode de creusement était lié à la nature du terrain rencontré. Certains blocs, par suite du très mauvais terrain durent être fondés sur des piliers bétonnés descendus jusqu’au bon terrain. Ce fut le cas par exemple du bloc 4 du Schoenenbourg qui repose sur 11 piliers. Enfin, il fut des cas ou devant la quasi impossibilité de trouver un terrain assez stable pour creuser les galeries, on dut abandonner purement et simplement le terrassement et la réalisation des dites galeries. Ce fut le cas des casemates du Bois d’Hoffen qui auraient du constituer un seul petit ouvrage.

GALERIES

Les galeries courantes de 1,80m x 2,30m en général ont été presque toujours creusées à pleine section. La méthode employée pour forer les galeries à forte section (jusqu’à 3,30m x 3,50m) a été le plus souvent celle de la galerie pilote de base élargie par tronçons successifs jusqu’au gabarit définitif. Suivant la nature du terrain, la galerie était boisée ou simplement butonnée.

On a également employé des cintres métalliques. Les terrassements étaient effectués à la pelle et à la pioche. On a employé aussi des marteaux piqueurs et marteaux bêches à air comprimé. On était encore assez loin des engins modernes de creusement de galeries. J’avais traduit en 1928 un article d’un magazine technique américain sur l’emploi des «Jumbo» pour le creusement des tunnels mais je ne pense pas qu’on ait employé de tels engins en France en 1939.

En général, radiers et piédroits étaient en béton (de laitier dans les parties humides) et la voûte en maçonnerie de moellons. Le travail le plus délicat fut de maintenir la galerie dans la bonne direction et le bon niveau. Ce fut un travail confié aux officiers et Ingénieurs du Génie. Ainsi, à l’abri de Grassersloch, les galeries furent attaquées par le puits Ouest et en même temps par l’égout. Cela impliquait pour l’égout deux changements de direction et pour le puits un départ en galerie au fond puis un angle droit à réaliser. Les deux tronçons se sont rejoints à quelques centimètres près en direction aussi bien qu’en niveau malgré la simplicité des appareils de mesure employés qui étaient assez loin de la perfection des théodolites modernes. Dans certaines galeries était scellée la voie de 60cm ce qui explique la nécessité de la précision du tracé de ces tunnels.

Dans les parois étaient ménagées des étagères continues destinées à supporter les câbles des différents réseaux électriques, téléphoniques etc..

Il est souvent arrivé que des venues d’eau plus ou moins abondantes se produisent pendant la construction des galeries. Certaines, les moins abondantes ont pu être étanchées par l’emploi de produits spéciaux. D’autres plus fournies ont du être captées. Un égout collectait les eaux de ruissellement, les eaux vannes et les eaux usées. Il aboutissait vers l’arrière et sa sortie était camouflée au maximum. Dans quelques abris et dans les ouvrages il était visitable et comptait une issue de secours.

Les ouvrages avaient aussi une issue secrète permettant d’évacuer quelque personnel en cas d’extrême nécessité.

APPROVISIONNEMENT EN EAU

Toutes les possibilités d’origine de l’eau d’alimentation des ouvrages ont été utilisées : pompe immergée dans puits profond (forage de 117m au Schoenenbourg), sources captées, sources à gros débit munies de pompes de refoulement et même récupération de l’eau de dessus des blocs.

CUISINES, CASERNES, P.C, INFIRMERIE, DEPOTS DE MUNITIONS, USINE

Ces divers services nécessitaient des galeries à très grande section nettement plus large et plus hautes que celles servant à la circulation. Le P.C était bourré de ligne téléphoniques. Le casernement comportait des lits métalliques à étages. L’infirmerie dans certains gros ouvrages utilisait même une salle d’opération avec Scialytique. Les dépôts de munitions étaient équipés de monte charges sur rail aérien permettant la manutention des casiers de 50 obus. L’usine électrique possédait de gros diesels qui permettaient de fournir le courant électrique nécessaire en cas de rupture de l’alimentation par le secteur extérieur civil.

Les centrales comportaient également des batteries de filtres qui permettaient avec un système de ventilation forcée de créer une surpression à l’intérieur des blocs ce qui évacuait à l’extérieur les gaz viciés ou toxiques. Ces usines possédaient également une réserve d’eau et une soute de gasoil. Les cuisines étaient munies de tous les perfectionnements de l’époque: cuisinières, percolateur, fours, chauffe eau, éplucheurs de légumes, four à pain, chambres froides, le tout marchant sur le courant électrique. Des magasins à vivres permettant une survie de plusieurs mois jouxtaient les cuisines.

CONCLUSIONS

Les études pour la défense moderne du territoire ont débuté dès la fin de la première guerre mondiale, dès 1920. En 1922 une «Commission spéciale de défense du territoire» étudia le tracé et la forme de la future ligne fortifiée et conclut par un projet de programme en 1927. la «Commission d’organisation des régions fortifiées» (C.O.R.F) prend le relais fin 1927 et devient l’organisme constructeur. Le ministre de la Défense Paul Painlevé avait entre temps fait établir un projet qui fut chiffré en 1928 à 8200 millions de francs de l’époque. Le financement fut enfin voté par le Parlement fin 1929 à l’initiative du ministre André Maginot dont le nom fut alors donné à la ligne fortifiée à construire. Le programme fut finalement réduit et chiffré en 1931 à 3875 millions soit 40% du projet initial. La CORF disparut fin 1935 et on peut estimer que les travaux étaient alors à peu près terminés. Avant de disparaître, la CORF a mis sur pieds un «nouveau front» à l’ouest de Longuyon jusqu’à l’ouvrage de la Ferté, front équipé de tourelles de 75 datant de 1914 et bien moins puissant et organisé que la Ligne Maginot initiale.

Il a donc fallu sept ans pour concevoir cette fortification et six ans environ pour terminer tout ce qui était financé par la loi programme de janvier 1930 pour un montant total de 3,8 milliards de francs Poincaré. Ce fut un travail gigantesque auquel toute une pléiade d’officiers et de personnels du Génie s’est attachée avec acharnement. Ce surcroît de travail pour le Génie l’obligea d’ailleurs à abandonner en 1930 les fortifications du front de mer qu’il laissa au Service des Travaux Maritimes et en 1932 la construction et l’entretien des terrains d’aviation militaire qu’il passa au Service des Bases Aériennes.

Les Anciens combattants de la Ligne Maginot qui l’on défendue jusqu’au bout peuvent affirmer que malgré ses défauts, entre autres son absence totale de protection lointaine et contre l’aviation de bombardement, malgré le très mauvais emploi qui fut fait en retirant les troupes d’intervalle qui initialement en faisaient partie intégrante et auxquelles elle devait servir d’appui, malgré les trous laissés dans sa continuité par le manque de financement après 1936, malgré tout cela, elle a tenu son rôle, a permis une mobilisation normale et a résisté seule là o| elle était homogène et bien armée aux assauts répétés de l’ennemi qui n’est pas passé alors. Ce qu’il en reste et que beaucoup viennent admirer en témoignera encore longtemps.

Ceux qui l’on construite et l’on défendue peuvent en être toujours fiers et avec raison.

Loze le 23 février 1986

André SUDRAT

Colonel Honoraire du Génie


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