Souvenirs de l’abri de Hatten (1995)


Jean Dulac, Caporal-chef au 23ème RIF 

à Hatten de Mars 1936 à Septembre 1937


Le Secteur de Hatten :

Ce secteur s'étendait de la route de Buhl (ruisseau du Seltzbach) à la casemate de Rittershoffen IV dans la forêt de Hatten. La défense de ce secteur était confiée à un détachement du 23ème Régiment d'Infanterie de Forteresse (23ème RIF) basé à la caserne Aymé à Haguenau. Régiment de la Lauter, dont la devise était : « Ce ne sont pas des hommes, ce sont des Lions. ». .

A ma connaissance, les ouvrages ne furent pas occupés avant Mars 1936.


L’alerte de Mars 1936 - Le cantonnement dans le village :

Le 6 mars 1936, Hitler remilitarise la rive droite du Rhin. L'alerte générale sonne dans la caserne. Les ouvrages sont occupés, la 11ème Cie occupe l'abri de Hatten et les casemates du secteur. La 12ème Cie sert de renfort éventuel et stationne dans le village, occupant les greniers pour le couchage. Les cuisines sont installées dans un verger. Les foyers sont creusés dans la terre. Les marmites posées sur des parpaings. Le tout protégé du mauvais temps par une toiture faite d'une immense toile de tente.

L'alerte dure quelques jours. La vie s'organise. Les hommes seront occupés à renforcer le réseau de rails et de barbelés. De 4 rangs, il passera à 6 rangs. Travail pénible... Enfoncer des rails de 4 à 6 mètres de longueur à l'aide d'une «chèvre», qu'un «mouton» de fer d'environ 100 kg, remonté à bras d'hommes (une dizaine), descendait petit à petit dans le sol, pour dépasser de celui-ci enfin de 1m à 1.50m en quinconce. Un dépôt de Génie situé près de la gare de Hatten, sous la surveillance d'un adjudant chef détaché de Schoenenbourg, recevait par wagons entiers, rails précoupés et bobines de barbelés. Ces matériels étaient acheminés vers leur lieu d'utilisation par des cultivateurs du village.

En mai 1936, le détachement recevra en renfort pour activer ces travaux une Cie de travailleurs marocains qui cantonnera dans les fermes de la rue Principale, de plus une Cie de chasseurs à pied arrivera elle aussi en renfort et stationnera dans le centre de la rue principale. Les travailleurs marocains réaliseront entre autres les points d'appui de mitrailleuses sur la route de Koenigsbruck à Soufflenheim,

Un défilé de ces unités aura lieu le 14 juillet 1936, avant leur départ fin juillet. Par suite de la libération d'une partie des effectifs (fin du service militaire pour les appelés du contingent), le cantonnement cesse fin juillet 1936, tous les hommes de la 2ème Cie restants rejoignent l'abri de Hatten. Les gradés de cette 2ème Cie rejoignent la caserne Aymé à Haguenau.

Avant de terminer cette période, j'ajouterai que les officiers et sous-officiers du détachement logeaient chez l'habitant. Le restaurant de la Rose servait de Mess pour leurs repas.


La vie à l’abri :

Le détachement maintenant stationné à l'abri depuis le début août 1936, assure la garde des casemates de Hatten Sud, Esch et Rittershoffen IV. Chaque semaine la garde des casemates est relevée. Chaque jour, un des hommes vient au ravitaillement à l'abri. Chaque casemate dispose d'une maisonnette où l'on cuisine etc. L'abri n'est occupé que la nuit, sauf le central téléphonique. De jour, nous vivons dans des baraquements en surface .Les hommes non occupés à la garde des casemates sont chargés du nettoyage des réseaux de rails ou du renforcement des barbelés ou d'entretien des casemates (graissage des armes automatiques...)

Fin mars 1937, les «frontaliers» réservistes habitant les villages voisins sont alertés, il s'agit d'un exercice. Le centre mobilisateur situé dans un baraquement dans les dépendances du terrain autour de l'abri permet de les habiller et de les armer  pour occuper les ouvrages libres. (chaque tenue est répertoriée au nom du destinataire).Cela ne dure qu'une ou deux journées.

- La tenue de travail est le treillis blanc, le bonnet de police et les bandes molletières; les employés aux services à l'abri sont dispensés du port des bandes molletières. La tenue de sortie est bleu horizon ainsi que pour la garde aux casemates. Ce n'est qu'au début juin 1937 que la nouvelle tenue kaki avec béret nous sera destinée. Les sergents la portaient depuis quelques mois.

- De jour, une sentinelle se trouve près du mât des couleurs, chargée d'accueillir les visiteurs, elle est surtout occupée avec des jumelles à surveiller l'horizon vers l'est, vers le Rhin, pour repérer d'éventuels avions allemands qui tenteraient de survoler la ligne Maginot. Cette surveillance nous a permis en juin 1937 d'apercevoir le Graf Zeppelin évoluant au dessus du Rhin, quelque temps avant qu'un incendie le détruise lors de son atterrissage à New York en Juillet 1937.

- Chaque mois, les services du Génie de Schoenenbourg procèdent à la mise en route des diesels assurant le fonctionnement des groupes électrogènes destinés à l'éclairage de l'ouvrage, à la surpression et au système de purification de l'air, à la ventilation. Ventilation assurée ainsi que le chauffage intérieur par un moteur autonome en temps normal. J'ajouterais que cette ventilation et ce chauffage n'empêchent pas une légère condensation aux plafonds des chambres. Les habits sont humides. Des moisissures apparaissent sur les objets de cuir.

- En surface comme à l'intérieur de l'abri nous sommes approvisionnés en eau potable par le réseau communal dépendant du château d'eau de Stundwiller, en électricité par le réseau général, pour le téléphone nous sommes reliés aux P.T.T.

- Un médecin auxiliaire est responsable de la santé du détachement. L'infirmerie ne sert qu'à soigner les bobos. L'évacuation sur Haguenau des cas graves étant prévue. Je n'en ai connu aucune pendant ma présence à l'abri.

- En temps de paix les cuisines fonctionnent dans un baraquement en surface lequel comprend une partie servant à la fois de cantine et de réfectoire. La partie sud de cette construction comprend le bureau du lieutenant et celui des secrétaires .

- Le ravitaillement est assuré ainsi : Chaque mois un fourgon descend à Haguenau pour charger à l'intendance (café, riz, légumes secs etc.). Le pain nous est fourni chaque jour par un boulanger de Soufflenheim ; La viande nous est fournie par un boucher en gros de Haguenau. Nous nous approvisionnons aussi chez les bouchers de Hatten pour la charcuterie. L'épicerie nous est fournie par un épicier en gros de Strasbourg (tant au cantonnement qu'à l'abri).

- Le vin nous est fourni par la maison Sauter (La ration est double pour les travaux, 1 litre par homme et par jour). Pendant la période du cantonnement, nous recevrons du vin d'Algérie en fût de 800 litres qui causeront quelques difficultés pour le transport jusqu'aux locaux et aussi quelques dégâts par ses 13° d'alcool.

- De plus un jardin situé sur la superstructure de l'abri entretenu par 3 jardiniers nous approvisionnait en légumes frais, ce qui permettait de faire varier les menus de l'ordinaire .Le caporal Suavet en assurait la direction, chargé en outre du rôle d'infirmier, de gérant de la cantine et de sonneries de clairon.

- Par ailleurs, quelques moutons s'engraissaient dans l'enclos et aussi deux ou trois cochons alimentés par les déchets de la cuisine ou du jardin. Pour les trois chevaux, stationnés dans les écuries de l’hôtel de la Gare, nous nous ravitaillions en fourrage et avoine à la caserne du 4ème Bataillon à Oberroedern.

- Avant de terminer, j'ajouterai encore ce qui suit:

- En l'hiver 1936-1937, les cloches d'observation des Casemates de Esch et Hatten Nord et Sud furent percées au sommet pour permettre l'installation de lunettes périscopiques. Travail fort difficile, car le matériel d'alors était loin d'être aussi performant que nos outils actuels.

- Une barrière antichar était située à l'angle du carrefour route de Seltz, route de Koenigsbruck près de la casemate Esch, une autre existait près des casemates d'Hatten Nord et Sud, ainsi que sur la route de Buhl, près du ruisseau Seltzbach.

Je terminerai par la disparition du réseau de rails et de barbelés, qui d'après ce que j'ai appris fin 1945, fut démantelé par les Allemands, récupéré pour les fonderies, dont l'acier était destiné à la campagne de Russie. Les terres que ce réseau occupait qui avaient été expropriées par l’armée française pour la construction de ce réseau, furent restituées à leurs propriétaires. Seuls subsistent les ouvrages bétonnés inoccupés.



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