Conception de la Ligne
Maginot
Dès la fin de la guerre
1914-1918, le gouvernement français veut à tout prix éviter qu'une invasion
semblable à celle de 1914 puisse à nouveau se produire et demande à l'Etat-Major
d'étudier le problème de la défense des frontières.
Cette étude va être marquée par les monstres sacrés de la guerre: les trois maréchaux qui ont commandé en chef les armées: FOCH, PETAIN et JOFFRE et quelques généraux qui, à la fin de la guerre, commandaient des armées.
Les raisons qui ont conduit à
la conception puis à la réalisation de cet ensemble sont multiples et d'ordres
bien différents :
d'ordre politique :
protection des frontières de l'Alsace-Lorraine revenue à la France après
1918 ;
d'ordre technique : les
fortifications existant jusqu'alors (Verdun, Toul, Epinal, Belfort, etc...)
étant désormais loin des frontières et techniquement dépassées ;
d'ordre économique : une
grande partie du potentiel industriel français se situant dans le nord-est
(bassin lorrain), nécessité d'en assurer la protection dans l'hypothèse
d'une attaque brusquée ;
d'ordre géographique : de
Dunkerque au Rhin la frontière ne présente guère d'obstacles naturels et
de nombreuses voies de passage pouvaient se révéler favorables à une
offensive ennemie ;
d'ordre militaire : les
opérations de mobilisation de l'armée française exigeaient un délai de 2
à 3 semaines. La sécurité devait donc être assurée durant ce délai par
une organisation permanente capable de retarder une attaque ennemie ;
d'ordre démographique : le
déséquilibre important entre les populations française (40 millions
d'habitants) et allemande (près de 80 millions) ayant pour conséquence
pour l'armée française de disposer d'un moindre potentiel humain, un
système fortifié permet une économie en hommes tout en ayant un effet
dissuasif non négligeable.
A toutes ces raisons s'ajoutait
le poids d'une longue tradition militaire qui, de Vauban au Général Séré de
Rivières, a vu l'édification au cours des siècles de systèmes fortifiés
successifs et souvent considérables.
L'origine de la Ligne Maginot
est en fait à rechercher dans les conséquences de la guerre de 1870-71 au
lendemain de laquelle a été décidée, pour éviter le renouvellement de faits
comme l'irruption soudaine de troupes ennemies sur le territoire national et
leur progression rapide jusqu'à Paris, l'édification d'un grand système
fortifié le long de toutes les frontières terrestres et maritimes.
C'est ainsi que, sous la
direction du Général Séré de Rivières, fut réalisée dès 1874 une
"ligne Maginot" avant l'heure constituée d'un nombre considérable de
places fortes, de forts, de batteries, etc... dont l'essentiel était implanté
dans le Nord-Est entre Lille et la frontière suisse. Les jalons les plus connus
de cet ensemble fortifié étaient les places de Verdun, Toul, Epinal, Belfort,
Besançon, etc...
Remanié, perfectionné,
modernisé sans cesse au gré des progrès successifs des armements jusqu'en
1914 et même durant les hostilités du 1er conflit mondial, le système
fortifié Séré de Rivières jouera un grand rôle, en particulier au cours des
âpres batailles de Verdun en 1916-17. Mais dès le lendemain de la guerre, il
s'avèrera en grande partie obsolète.
Dépassé techniquement et
structurellement, situé loin des nouvelles frontières du nord de la Lorraine
et d'Alsace, il n'était plus en mesure d'assurer la fonction dissuasive et
défensive pour laquelle il avait été conçu.
Les opinions sont très
différentes: aux idées de FOCH, peu favorable aux systèmes défensifs
statiques, s'opposent celles de Joffre, partisan d'une formule rappelant les
forts de Verdun, de Toul ou d'Epinal, et de Pétain, adepte des fronts
fortifiés linéaires et profonds. Ce n'est qu'à partir de 1925, sous la
direction du ministre PAINLEVE, que des compromis vont être trouvés.
Les formes de la fortification
vont d'ailleurs se modifier pendant cette période pour passer des forts SÉRE
DE RIVIERES (Toul, Verdun, Belfort, etc...) modifiés au cours de la guerre
1914-18, aux ouvrages tels qu'ils existent actuellement.
Dès le début des années 20,
le Haut-Commandement français, conscient du caractère éphémère des
garanties du Traité de Versailles, conscient aussi des réalités humaines
(1.350.000 morts, des millions de blessés et d'invalides du fait de la Grande
Guerre, un déficit démographique grave comparé à la situation du vaincu) et
du problème de la sécurité des frontières et du pays, entama l'étude d'une
forme nouvelle de fortification.
De véhémentes discussions
mettant aux prises les grands chefs de l'époque, FOCH, PETAIN, JOFFRE,
opposèrent diverses conceptions jusqu'en 1925. Une "Commission de Défense
du Territoire" (1922-23) sous la direction du Général GUILLAUMAT puis une
"Commission de Défense des Frontières" jettent véritablement les
bases de l'organisation défensive des frontières. Fin 1925, le Conseil
Supérieur de la Guerre où siègent le Président de la République, le
Ministre de la Guerre Paul PAINLEVE et les plus hautes autorités militaires du
pays examinent le rapport de la commission et décident d'un "système
discontinu de régions fortifiées construit dès le temps de paix".
En novembre 1926, la C.D.F.,
chargée de poser les grands principes, d'arrêter les formes techniques, de
déterminer le tracé général et la nature des organisations à créer,
présente un rapport capital proposant :
3 "régions fortifiées" : METZ, LAUTER, BELFORT, réalisées en fortification permanente,
des positions de barrage à
30 km en arrière destinées à donner de la profondeur au système
défensif,
un type de fortification permanente aussi moderne que possible.
Les discussions et les études
se poursuivent jusqu'en janvier 1929 quand sont définitivement arrêtées les
formes du nouveau système de défense :
en première urgence, création des Régions Fortifiées de METZ et de la LAUTER (Basse-Alsace),
organisation défensive du RHIN alsacien,
défense des ALPES.
Une 2ème urgence prévoit
l'organisation des secteurs de BELFORT et de SAVERNE mais rien n'est prévu au
Nord, entre Dunkerque et Longuyon, c'est-à-dire le long de la frontière belge.
Painlevé, pendant ses
ministères, désigne deux commissions :
La COMMISSION DE DÉFENSE
DES FRONTIÈRES (C.D.F.) qui va définir le tracé de la fortification, son
organisation, ses formes générales, et établir un premier devis,
La COMMISSION D'ORGANISATION DES RÉGIONS FORTIFIÉES (C.O.R.F.) qui va affiner et coordonner les données établies ou laissées par la C.D.F.
En 1927 en effet avait été
créée la COMMISSION D'ORGANISATION DES REGIONS FORTIFIEES, la C.O.R.F., qui
sera véritablement l'organe constructeur de la Ligne Maginot. Composée de
spécialistes de haut rang du Génie, de l'Artillerie et de l'Infanterie,
présidée d'abord par le Général FILLONNEAU puis par le Général BELHAGUE
qui lui imprimera sa haute personnalité, la C.O.R.F. va établir le tracé
définitif des positions, créér les projets des ouvrages et des matériels qui
les équiperont, lancer et diriger les chantiers. Son oeuvre immense sera
synonyme de très haute qualité.
La C.O.R.F. créa des
délégations régionales à METZ et STRASBOURG auxquelles seront subordonnées
les CHEFFERIES locales du Génie (Thionville, Bitche, Mulhouse, Belfort, Nice,
entre autres). L'immensité de la tâche, l'énormité des chantiers, le nombre
des problèmes techniques, la responsabilité écrasante laissés à la charge
des techniciens et des officiers qui travaillèrent à cette oeuvre gigantesque
exigea de faire appel à l'élite scientifique et technique du pays. A cet
égard, on peut affirmer que la Ligne Maginot fut et restera parmi les grandes
réalisations contemporaines en France un chef d'oeuvre architectural et
technique.
Au début de 1929, Painlevé fait approuver, en Conseil des ministres, l'organisation défensive proposée par la C.O.R.F. et, à la fin de 1929, passe son ministère à André MAGINOT. Maginot présente le programme à la Chambre des Députés quelques jours après avoir pris ses fonctions et le fait voter à main levée. Le Sénat examine immédiatement cette loi et l'adopte avec une majorité supérieure à 90 % des voix.
C'est le 14 janvier 1930,
André MAGINOT, successeur de PAINLEVE au Ministère de la Guerre, fait voter la
loi-programme accordant un crédit de 2.900 millions sur 5 ans pour la défense
des frontières terrestres et laisse ainsi définitivement son nom à un
ensemble fortifié dont les travaux avaient d'ailleurs déjà commencé.
Le programme devient alors la
loi du 14 janvier 1930. Il prévoit deux régions fortifiées principales, celle
de METZ et celle de la LAUTER, une barrière de casemates le long du RHIN, des
barrages solides dans les ALPES et quelques miettes dans le Nord.
Pour qu'il soit facilement
voté, la C.O.R.F. a dû compresser au maximum son devis. Certains ouvrages
prévus ont été abandonnés et certaines installations renvoyées à une date
ultérieure. En cours de réalisation, compte tenu de l'inflation permanente, il
faudra encore réduire la construction des ouvrages en rejetant à une date
ultérieure certains blocs pour rester dans les impératifs budgétaires.
En 1934, la situation politique
va entraîner une reprise des activités de la C.O.R.F. pour protéger le
plateau sarrois, la tête de pont de Montmédy et la région de Maubeuge. Mais
cette reprise se fera pratiquement sans artillerie (il n'y a que deux
malheureuses tourelles de 75 sur la tête de pont de Montmédy).
A partir de 1935, les
constructions vont se multiplier pour essayer de couvrir toute la frontière.
Mais elles sont le fait des généraux commandant les régions militaires qui
ont reçu l'ordre de lancer un programme de construction qui ne s'achèvera
qu'avec l'armistice de 1940. Les blockhaus sont alors de formes et de protection
(épaisseur du béton) diverses et ne recevront généralement pas les armatures
métalliques nécessaires.
Par ailleurs, les Services
Techniques du Génie vont, un peu plus tard, dans un but de coordination,
établir des types de casemates de plus en plus allégées pour couvrir les
zones où la C.O.R.F. n'a pas oeuvré.
Les économies seront
réalisées au détriment de la qualité.
A l'exception de l'ouvrage de
LA FERTÉ, les fortifications percées dans des conditions normales de combat,
c'est-à-dire avec un soutien de l'artillerie, la présence de troupes
d'intervalle et une action frontale de l'adversaire, appartiendront toutes aux
programmes des dernières années.
Les fortifications qui
appartiennent à la ligne Maginot proprement dite, que ce soit dans le Nord,
dans la région de St-Avold ou sur le plateau sarrois seront prises lorsque les
ouvrages auront été abandonnés par les troupes d'intervalle, qu'ils ne seront
pas appuyés par l'artillerie et que les Allemands viendront par les arrières.
Les Fronts des casemates du
Rhin et des blockhaus des Vosges seront percés, mais lorsque les équipages
auront été abandonnés dans une mission d'action retardatrice sans espoir.
Par contre, lorsqu'ils pourront
bénéficier d'un appui d'artillerie, tous les ouvrages auront une résistance
qui fera l'admiration des Allemands et des Italiens. Rappelons en particulier
l'échec des attaques contre les ouvrages de Fermont, du Michelsberg, de l'Einzeling,
de Laudrefang, de Téting, du Four à Chaux, du Hochwald, de Schoenenbourg, des
casemates d'Aschbach-Oberroedern et de toutes les positions alpines.
Leur abandon ne se fera que sur
ordre bien souvent une semaine après l'armistice.