Pierre Stroh

Pierre Stroh

 

 

COMBATS SUR LA LIGNE MAGINOT

 

OUVRAGE DE SCHONENBOURG

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Ce document unique de la Ligne Maginot ne doit pas être diffusé, le haut commandement militaire n'ayant aucune connaissance sur l'existence de ce document.

 

                                   Le commandant de l'ouvrage de Schoenenbourg,

                                   Martial REYNIER

 

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(A l'attention du lecteur :

 

Le capitaine Pierre Stroh, qui était alors le commandant du génie de l'ouvrage de Schoenenbourg, a rédigé ce rapport en 1941 alors qu'il était captif dans un Oflag (camp de prisonniers pour officiers) à Nuremberg, en Allemagne. Il le soumet aussitôt au commandant Reynier, ancien commandant de l'ouvrage, lui aussi prisonnier. Il y décrit les bombardements adverses, analyse leurs effets et préconise des solutions pour une fortification du futur. Il retrace ainsi de mémoire, un an après les faits, le déroulement des opérations. Mais il est incomplet sur le nombre de gros obus tombés sur le Schoenenbourg (il oublie de mentionner un bombardement dans la matinée du 23 juin), mais ceci n'enlève rien à cet inestimable témoignage.)

 

 

CHAPITRE I - Préambule.

 

L'ouvrage de Schoenenbourg est le dernier à l'Est des gros ouvrages faisant partie de ce que l'on a appelé la ligne Maginot. Il se trouve en bordure de la route nationale N° 63 de Strasbourg à Wissembourg et à Landau.

 

Il semble avoir particulièrement intéressé les Allemands, car, parmi les ouvrages de la Région fortifiée de la Lauter, c'est celui qui a reçu le plus de projectiles au cours de la 2ème quinzaine de Juin 1940. Il a eu l'occasion d'intervenir activement pour protéger la ligne de casemates Hoffen-Aschbach-Oberroedern violemment prise à partie par une division allemande renforcée de 10 Stosstrupps. On peut admettre que son action a empêché, à cet endroit, la percée de la ligne qui avait été démunie de toute l'artillerie et d'une partie de l'infanterie d'intervalle à la date du 13 juin.

 

Toutefois, cette action n'a pu être aussi vive qu'il eut été désirable car il fallait ménager les munitions d'artillerie avec une avarice sordide puisque nous n'avions que des approvisionnements assez faibles sans espoir de ravitaillement et que nous ignorions combien de temps nous devrions tenir ; nous ne voulions quand même pas être pris avant l'armistice que la radio civile annonçait proche.

 

Enfin, les Allemands ont choisi en Juillet 1940 cet ouvrage pour y filmer la partie de leurs films de guerre concernant les ouvrages français. Il a été donné au soussigné d'assister à cette prise de vue. Il semble que, si l'armistice n'était pas entré en vigueur, ils auraient tenté une attaque sur l'ouvrage de Schoenenbourg et la ligne de casemates qu'il flanquait vers l'Est.

 

Toutefois, après le 20 Juin (percée de la ligne du côté de Neunhoffen), ce plan avait peut être été laissé de côté pour faire place à un plan d'attaque concentrique.

 

Quoi qu'il en soit, la résistance de cet ouvrage permet de se faire une opinion sur la valeur au combat de cette ligne fortifiée qui a rempli entièrement son rôle, mais n'a pu suppléer aux insuffisances de notre armée de campagne.

 

Par ailleurs, les locaux de l'ouvrage étaient particulièrement exigus car il est l'un des premiers construits et implanté dans un terrain difficile qui l'a rendu coûteux. Il y régnait, plus que dans un autre, un véritable esprit d'ouvrage qui était animé par le commandant REYNIER et qui venait à bout des délicates questions d'écusson.

 

Cette exiguïté des locaux et cette unité d'esprit permettent de faire une critique aussi judicieuse que possible des solutions adaptées aux difficultés de la vie en période calme. Il ne faut pas oublier que l'un des rôles de la fortification est d'être constamment prête au combat pendant des mois et des années et qu'il faut que ses occupants se conservent pendant ce temps en bonne forme physique et mentale.

 

La présente étude a pour but l'examen de la tenue des organes de l'ouvrage avant et pendant le combat. Elle est suivie de réflexions diverses sur la fortification moderne.

 

 

Chapitre II - EFFETS DU BOMBARDEMENT SUR L'OURAGE DE SCHOENENBOURG.

 

L'historique des événements intéressant directement l'ouvrage du 14 au 25 Juin 1940 a été  fait par le lieutenant LARUE, adjoint au commandant.

 

 

Projectiles d'artillerie reçus :

 

a) Le 15 mai : environ 15 projectiles d'un calibre de l'ordre de 240  ou 280. Aucun coup n'a intéressé les blocs.

La pièce qui les tirait a été repérée par ses lueurs; elle était à Bundenthal, à 16 km au Nord-Ouest de Schoenenbourg, à 10 km au Nord de l'ouvrage du Four à Chaux,

 

b) Environ 34 projectiles de très gros calibres (un coup de 420 identifié avec certitude) ayant éclaté (le 21 Juin : 8, le 22 Juin : 12, le 23 Juin : 14).

 

Pièce non repérée se trouvant dans la direction de Wissembourg, angle de chute : 70° environ, cadence de tir : un coup toutes les 7 à 10 minutes.

 

Des renseignements obtenus ultérieurement, il résulterait que la moitié environ des projectiles était de 420, l'autre d'un calibre inférieur (305 à 350) ; les deux sortes de projectiles auraient été tirés avec des pièces sur voie ferrée (en 1941, Pierre Stroh ne connaissait pas encore la nature exacte des pièces dont seul le déplacement se faisait sur voie ferrée pour les longues distances, mais pas le tir) situées à Oberotterbach (13 km au Nord de l'ouvrage). L'ouvrage a été visité au début de juillet par les deux colonels allemands dont dépendaient les pièces; ils réclamaient chacun la paternité des profonds camouflets créés dans la terre, déclinaient celle des points d'impact sur le béton et cherchaient à la rejeter l'un sur l'autre, en trouvant bien faibles les effets de leurs obus sur le béton.

 

Il y a eu 3 impacts sur le béton, de dimensions comparables ; celui du bloc 5 (voir plus loin) est certainement produit par un 420 (un gros éclat de 50 à 60 kg est resté coincé dans la souille, de nombreux éclats s'ajustant bien ont été relevés aux alentours peu après ce tir).

 

c) A partir du 15 mai, nombreux bombardements de petits calibres (105, 150) ; le nombre des obus reçus, difficile à déterminer, est de l'ordre de 1 500 à 2 000. Il s'agissait généralement de tirs de harcèlement exécutés sur les avants de l'ouvrage.

 

 

Bombes d'avions reçues

 

L'ouvrage a reçu environ 70 grosses bombes, sans compter les petites réparties chronologiquement comme suit :

 

- Le 19 Juin une vague de trente avions lance en piqué sur les avants des bombes de divers poids, dont 15 grosses bombes évaluées à 1 000 kg (voir plus loin effets dans le terrain) ; une ogive de 47 cm de diamètre était encore bourrée d'un explosif jaune très clair ayant l'aspect de la mélinite ou de la tolite ; une bombe non éclatée était démunie d'empennage et avait 0 m 50 de diamètre et 1 m 25 de long.

- Le 21 Juin : 3 vagues de 25 à 30 avions chacune lancent des bombes variées sur les avants et les arrières, dont une trentaine de bombes de gros calibres évaluées à 1 000 kg.

 

- Remarque : les blocs visés étant très serrés et les entonnoirs des bombes s'entremêlant, on n'a pu vérifier si, comme à l'ouvrage du Hochwald-Ouest, chaque gros entonnoir était accompagné de 2 petits (les 3 bombes étant lâchées par le même avion).

 

 

Effets constatés

 

Bien que le tonnage de projectiles reçus par l'ouvrage de Schoenenbourg soit loin d'atteindre l'ordre de grandeur de ceux qui ont été reçus par plusieurs forts pendant la guerre de 1914, les effets constatés permettent de se faire une opinion sur la tenue sous le bombardement de la fortification de la C.O.R.F.

 

Le tonnage de projectiles reçus est du même ordre de grandeur qu'au fort de Manonvillers, ce qui permet d'apprécier la différence de tenue des organes de l'ouvrage.

 

Les effets constatés sont exposés ci-après, classés selon les emplacements des dégâts ; pour chaque bloc, on a indiqué sous forme de moralité une impression sur l'ensemble des dégâts du bloc,

 

 

Effets dans le terrain.

 

a) Grosses bombes d'avion. Elles donnent des entonnoirs réguliers ; l'entonnoir apparent a été mesuré, il a environ 16 m de diamètre aux lèvres et 5 m 50 de profondeur. Son aspect est celui d'entonnoir d'un fourneau normal ou légèrement surchargé.

 

On peut donc admettre que le centre des poudres au moment de l'explosion était de 8 à 9 m de profondeur; l'indice du terrain étant de 1,2 environ (explosif nitré, terre sableuse), la charge serait de l'ordre de 600 à 900 kg en utilisant la formule C = g h3 qui suppose un bourrage parfait.

 

C'est ainsi que je présume que les bombes reçues étaient de 1 000 kg.

Je n'ai rien pu apprendre à cet égard des officiers allemands que j'ai vu ultérieurement et qui auraient voulu faire croire que nous n'avions reçu que des projectiles de 50 à 100 kg,

 

b) Obus présumés de 420 : les impacts sont manifestés par des puits de 1 m 00 à 1 m 40 de large inclinés de 60° à 70°; leur profondeur supérieure à 10 m n'a pu être mesurée exactement car la trajectoire souterraine du projectile se relève, ce qui gêne le sondage.

Ces puits aboutissent à des camouflets qui se manifestent extérieurement au bout d'un temps variable par un effondrement de la croûte du sol.

 

 

Effets dans le réseau-rails.

 

1- ) Un coup présumé de 280 (tir du 15 mai) à retard explose à environ 4 m de profondeur, laisse un entonnoir de 2 m 20 de profondeur et 7 m 00 de diamètre et projette aux alentours 12 rails appartenant à 4 rangs différents du réseau (réseau implanté en 1938 avec des rails lourds selon le plan d'implantation donné par le S.T.).

 

Un des rails projeté s'est replanté en terre de 0 m 80 presque vertical à 10 m du bord de l'entonnoir.

 

Un autre coup a des effets analogues.

 

2 -) Un coup présumé de 150 sans retard explose à environ 1m 20 de profondeur et coupe net 8 rails sans les déterrer, ni les déplacer sensiblement.

 

3 -) Plusieurs coups de petit calibre avarient des rails, les éclats percent la semelle ou l'âme.

 

 

Effets sur le réseau de ronces type C.O.R.F.

 

Il est démoli ou recouvert de terre par endroit.

 

 

Effets sur le bloc 1 (casemate d'Infanterie Ouest)

 

1 -) Le 19 Juin, une bombe d'avion lancée en piqué par un avion venant du Sud ou du Sud-ouest  ricoche contre le mur de garde (en maçonnerie qui est détérioré) et explose au niveau du sol à 5 m de la façade du bloc; le souffle a les effets suivants :

 

a) un sous-officier se trouvant au bord du fossé diamant et qui allait servir un F.M. de D.C.A. placé à l'extérieur est culbuté dans le fond du fossé (commotion, blessures légères).

 

b) 3 hommes se trouvant dans le bloc en face de la porte de secours laissée ouverte par imprudence sont brûlés superficiellement à la face ; surtout, l'un d'eux est déculotté,

 

c) Le cadre fixant le jumelage de mitrailleuses à la trémie est faussé et ses quatre oreilles de fixation sont tordues ou fendues. Le 2ème jumelage (celui du créneau du canon de 47) est mis en position aussitôt à la place de la pièce avariée qui est envoyée à l'atelier de l'ouvrage où l'équipe de dépannage du Génie le répare.

 

Durée de l'indisponibilité du créneau : 3/4 d'heure à partir de l'explosion de la bombe jusqu'à la mise en service du jumelage de rechange.

 

Durée de l'indisponibilité du jumelage touché : 12 heures.

 

d) Le bloc étant rempli de fumée par la porte de secours ouverte, une légère panique a eu lieu.

 

2 -) Un coup de 150 percutant à 1 m 50 de la cloche Sud y casse une glace d'épiscope par le souffle.

 

Moralité : La gravité de l'accident dû à la bombe vient du fait que trois hommes se trouvaient à l'extérieur pour servir un F.M. sur support de circonstance tirant contre avions et qu'on avait imprudemment laissé la porte de secours ouverte. L'exemple du bloc 6 (voir plus bas : bombe dans le fossé diamant) montre que, lorsque la porte est fermée, le personnel du bloc n'a rien à craindre des effets de souffle d'un projectile explosant à l'extérieur.

 

Il est à noter que le personnel servant le F.M. a été encadré par 2 grosses bombes tombant à moins de 20 mètres ; il en est résulté de légères blessures (sommeil, maux d'oreille) qui ne l'ont pas empêché de rentrer par ses propres moyens, son arme étant hors d'usage.

 

 

E -) Effets sur le bloc 2 (tourelle de mitrailleuses)

 

Gros entonnoir à proximité : aucun dégât dans le bloc ; le champ de vision et de tir de la cloche est gêné par les lèvres des entonnoirs, ce qui eut été dangereux en cas d'attaque d'infanterie.

 

 

F -) Effets sur le bloc 3  (tourelle de 75 R 32)

 

1 -) Un obus présumé de 420 tombe sur le béton  et laisse une souille de 0 m 80 de profondeur, 1 m 10 de large et 3 m de long.

 

2 -) Une pièce allemande baladeuse était embusquée à 2 à 4 km et tirait dès que la tourelle se mettait en batterie, un de ses coups (88 ou 105) a frappé de plein fouet le haut de la muraille de la tourelle à la jonction avec la calotte. La légère déformation produite empêche le verrouillage d'éclipse de fonctionner (le jeu de ce verrouillage est trop faible ; on ne peut verrouiller, bien que la course du mouvement d'éclipse ne soit raccourcie que d'environ 1 m/m). Un calage mobile en bois a été confectionné pour remplacer le verrouillage, un calage analogue a été confectionné pour les autres tourelles par mesure de précaution.

 

3 -) Les entonnoirs voisins engorgent de terre un créneau de la cloche de G.F.M. du bloc 3 et gênent le service des autres créneaux.

 

4 -) Sous l'effet des premières bombes d'avions un magasin à munitions souterrain (cellule du magasin M 2) est fendu selon la clef de voûte et l'axe du radier. Ce dommage n'est pas aggravé par les bombardements ultérieurs; il est attribué à un tassement provoqué par les ébranlements du bombardement (il convient de noter la mauvaise qualité du terrain aux alentours des blocs d'avant : ces sables aquifères ont pu se modifier pendant ou après la construction et créer des tensions dans la maçonnerie.

 

5 -) Une cassure horizontale règne à la jonction du raccord des dessus du bloc avec la maçonnerie du puits et est due sans doute aux différentes façons de se comporter du bloc et du puits sous l'action des coups directs sur le bloc. Cette cassure existe plus ou moins dans tous les blocs, elle est particulièrement notable aux blocs 3, 4, 5 et 6 qui ont été atteints par des coups directs.

 

Moralité : Les dégâts causés au bloc 3 sont faibles, sauf l'obstruction des champs des créneaux de la cloche qui eut été dangereuse en cas d'attaque d'infanterie.

 

 

G - Effets sur le bloc 4 (tourelle de 75 R 32 et observatoire cuirassé).

 

1 -) Le 19 Juin, une bombe d'avion tombe sur le béton à 1 m 50 du bord de l'avant-cuirasse ; elle enlève une couche de béton de 0 m 10 d'épaisseur et de 2 m2 de superficie environ en retroussant les armatures superficielles ; dans l'étage intermédiaire une fente se produit selon une génératrice de la voûte sous le point d'impact de la bombe.

Les débris de béton retombent sur la tourelle entremêlés avec les armatures et on attend la nuit pour aller dégager la tourelle par les dessus. Il est probable qu'en cas d'urgence, la tourelle aurait pu se dégager en mettant en batterie et en tirant  quand même ; toutefois, on aurait risqué ainsi de la coincer par des morceaux de béton difficiles à enlever de l'intérieur de l'avant-cuirasse.

 

2 -) Une 2eme bombe d avion tombe le lendemain au même point que la précédente ; cette dernière enlève environ 0 m 20 d'épaisseur de béton et découvre un voussoir d'avant-cuirasse sur environ 1 m2 ; aucune déformation n'a été constatée sur l'ensemble de l'avant-cuirasse.

 

3 -) Des bombes d'avion éclatent de part et d'autre du bloc dans le massif de rocaille : les entonnoirs produits ont 4 m de profondeur et 10 à 12 m de large; le bloc est déchaussé sur 3 m 50 de profondeur environ et recouvert par les projections, mais le béton n'est pas même égratigné.

 

4 -) On a constaté extérieurement un camouflet produit par un coup de gros calibre (420 ?) au contact de la paroi Nord du bloc; un décollement peu apparent d'un ménisque d'enduit intérieur semble en être la conséquence.

 

5 -) Un gros entonnoir gêne le service des créneaux de la cloche G F M.

 

6 -) Le bloc présente une cassure horizontale à la partie supérieure du puits compliquée de cassures plus petites inclinées à 45° (cf. bloc 3).

 

Moralité : Le bloc 4 a bien résisté aux bombes et aux coups de fort calibre ; son massif de rocaille a bien joué son rôle, toutefois l'obstruction des champs des créneaux de la cloche G FM eut été dangereuse en cas d'attaque d'infanterie. Rien n'est à signaler en ce qui concerne l'observatoire cuirassé qui a fonctionné sans interruption, ni avarie à condition de rentrer son périscope pendant les bombardements.

 

 

H - Effets sur le bloc 5 (tourelle de 81)

 

1 -) Le 26 mai, un obus de 150 atteint la cloche G FM au bord de l'embrasure d'un créneau (face extérieure de la cloche) : l'épiscope et le périscope sont brisés, l'équipement fixe du créneau est faussé, le guetteur est tué. L'équipement de créneau et l'épiscope sont remplacés par du matériel fourni par les services de la 5e Armée.

 

2 -) Un obus de 420 atteint le béton au voisinage de la cloche de lance-grenades de 60 (non équipée) ; il produit une souille de 0 m 70 de profondeur, 1 m 20 de large et 3 m de long. Comme il a été dit, les nombreux et gros éclats retrouvés (ogive, opercule intérieur culot, de nombreux éclats dont un de 50 à 60 kg retrouvé sur place) ont permis d'identifier le calibre avec certitude.

 

L'ébranlement causé par la percussion de l'obus a provoqué des fentes aux maçonneries des locaux souterrains du bloc assez loin du point d'impact (voir plus loin) ; ces dégâts, relativement peu importants, ont été une cause de gêne en raison de l'afflux d'eau qui en a été la suite, les locaux étant bâtis en terrain aquifère.

 

3 -) Des bombes et obus bouleversent le terrain au point de recouvrir de 0 m 50 de terre la tourelle et les cloches de prise d'air gazé et d'évacuation de l'air vicié.

 

Il est nécessaire de sortir à plusieurs reprises pour les dégager et on a une certaine difficulté à retrouver l'emplacement de la tourelle, tant l'aspect du terrain est modifié. Après dégagement de la tourelle par l'extérieur, il y a encore beaucoup de terre dans l'avant-cuirasse et il y en a même dans les tubes des mortiers de 81 et leur mécanisme de chargement. Il y a tant de terre et de poussière que le dégagement, lent et fastidieux, dure plusieurs heures. Il est ralenti par l'exiguïté des accès à l'avant-cuirasse et à la tourelle.

 

Moralité : Le bloc proprement dit n'a pas souffert du coup de 420. Le service a été surtout gêné par les irruptions de terre qui entraînèrent des indisponibilités durant jusqu'à 18 heures. Il est à remarquer que la terre est moins gênante pendant les périodes de tir de la tourelle car elle est tenue en respect par le souffle des bouches à feu.

 

Le moral du personnel du bloc avait été fortement atteint pour des causes diverses : exiguïté et manque de confort du bloc, mort du guetteur de la cloche le 26 mai, incidents dus à la terre, accident de tir survenu à l'équipe à l'occasion du service d'une pièce de 120 De Bange placée sur l'ouvrage (3 blessés dont 1 mort). Le moral du personnel a été remonté par l'arrivée du coup de 420 qui a prouvé la solidité du béton et par le premier tir que la tourelle de 81 a eu à exécuter.

 

 

I - Effets sur le bloc 6 (casemate d'infanterie Est)

 

1 -) De nombreuses bombes d'avion tombées à proximité du bloc créent une vaste baignoire allongée ayant environ 5 m de profondeur, 12 m de large et 18 m de long, au-dessus de laquelle le coin du fossé diamant apparaît comme un balcon. D'autres bombes éclatent contre la paroi Sud du bloc (mur considéré comme défilé aux coups lors de la construction); elles entraînent des dégâts dans l'escalier du bloc (voir le paragraphe 5) dont une volée est détachée, pend sur les armatures du béton et menace de tomber ; elle est d'ailleurs enlevée en partie le soir de l'armistice.

 

2 -) Une bombe éclate dans le fossé diamant, ce qui a pour conséquence :

a) la création d'un important ménisque dans le mur de la chambre de repos (voir figure 2) : les occupants de la chambre projetés hors des lits contre la paroi en face en sortent émus et déprimés pour 24 heures.

 

b) l'éventrement du mur extérieur du fossé diamant (ouverture de 2 m sur 1 m environ),

 

c) la détérioration du cadre fixant le jumelage de mitrailleuses à la trémie ; les avaries sont analogues à celles survenues au bloc 1 (voir plus haut) la réparation est faite par le Génie de l'ouvrage dans les mêmes conditions que pour le bloc 1.

 

d) la détérioration de la serrure de la grille extérieure de l'issue de secours, ce qui montre que les projections et le souffle ont agi avec une sérieuse force sur cette grille, bien qu'aucun courant d'air n'ait pu s'établir puisque la porte blindée de l'issue était fermée. Un sapeur a dû travailler 6 heures dans la poterne pour la rendre à nouveau praticable.

 

e) Un tir tendu d'obus de petit calibre (77 ou 88) a été ajusté sur les créneaux du bloc par une pièce baladeuse. Les armes étaient en position de tir et n'ont pas souffert, l'enduit du béton a été écorché, ce qui a fait disparaître le beau camouflage à la peinture noire qui avait été appliqué durant l'hiver.

 

4 -) Un obus présumé de 420 est tombé sur le béton et a fait une souille de 0 m 70 de profondeur, 1 m 50 de large et 3 m de long; il a cassé par surcroît la cloche de prise d'air gazé et l'a projetée à une vingtaine de mètres ; toutefois le grillage protecteur situé dans la prise d'air et les installations de ventilation du bloc n'ont pas souffert. Par contre, les appareils de T S F qui se trouvaient dans le local radio sous l'impact de l'obus ont été projetés sur le sol et brisés.

 

5 -) Sous l'effet des explosions, le puits du bloc 6 a subi deux cassures principales : l'une AB au niveau du radier du bloc, l'autre CD à quelques mètres au-dessus du radier de la galerie souterraine (Fig. 1 ci-contre) ; un certain nombre de cassures inclinées se sont également produites. De plus, la maçonnerie du puits (et sans doute aussi celle du bloc) s'est affaissée d'environ 2 cm par-rapport à la galerie souterraine (constatation faite le long de la cassure EF).

 

Il semble que le bombardement ait disloqué la maçonnerie en éléments tels que I, II, III.

 

La cassure AB se retrouve aux blocs 3, 4, 5, 6 comme il a été dit ; des cassures telles que D se retrouvent dans la galerie souterraine du bloc 5, toutefois c'est au bloc 6 que cette dislocation est la plus visible; plusieurs raisons sont plausibles :

 

a) la mauvaise qualité du terrain (sables boulants très fins) qui a pu être aggravée du fait qu'un captage d'eau existait dans la galerie à la base du bloc.

 

b) le bloc 6 a été plus bombardé que les autres blocs,

 

c) le bloc 6 est relativement petit et la masse faible, il a donc opposé moins d'inertie aux coups et ses déformations en ont eu une plus grande amplitude,

 

d) le bloc 6 est le seul des blocs actifs qui n'ait pas été fondé par piliers reposant sur des semelles au niveau de la galerie ; on avait renoncé à ce mode de fondation en raison de la mauvaise tenue du terrain en profondeur.

 

e) la cassure D préexistait sous forme de fissure témoignant d'un déséquilibre des maçonneries. Elle avait donné lieu durant l'hiver 1939-40 à une réfection d'enduit pour aveugler la venue d'eau ; toutefois, aucun mouvement des maçonneries n'avait eu lieu depuis l'époque de cette réfection (cette fissure D se prolongeait d'ailleurs dans le local voisin où elle avait été aveuglée, et elle s'y est largement ouverte au moment du bombardement,

 

Moralité : Le bloc 6 a été particulièrement visé par l'ennemi; il a subi des dommages assez importants et il est vraisemblable que le piédroit Sud et celui de la chambre de repos n'auraient pas résisté à 2 ou 3 nouveaux bombardements par avion ; il est à remarquer que ces parties avaient été considérées comme non exposées aux coups au moment de la construction et qu'elles ont révélé une résistance bien supérieure à celle qui pouvait être escomptée en se basant sur des chiffres d'aide-mémoire ; ceci fait surtout honneur aux constructeurs de l'ouvrage.

Malgré les dégradations de la maçonnerie, l'armement du bloc est resté continuellement en état de tirer, il a été réparé et se trouvait intact au moment de l'armistice.

 

Les causes de l'acharnement des avions sur le bloc 6 peuvent être les suivantes :

 

a) il était bien visible la première fois que les avions sont venus (19 Juin à 19 heures) car il était alors le seul bloc qui présentait une façade à l'ombre ; par la suite, il était le mieux visible car il avait été déchaussé de terre lors de la première attaque (il apparaît très bien sur la photo parue le 20 Janvier 1941 dans un journal allemand : Kölnische Illustrierte Zeitung).

 

b) Ce bloc est relativement plus vulnérable que les autres à une attaque d'infanterie car il n'est pas protégé par les feux directs de la casemate voisine (masquée), il n'y a pas d'artillerie sous béton à l'Est de l'ouvrage et sa façade Est est à l'abri des feux des autres blocs de l'ouvrage. Il pouvait donc être tentant de préparer le bloc et ses abords à une attaque par les sapeurs allemands.

 

Il est à remarquer que c'est ce bloc qui a été choisi pour le simulacre d'attaque qui a été filmé par les cinéastes allemands vers le 20 Juillet. Il a été donné au soussigné d'assister à cette mise en scène qui a été faite avec un grand déploiement de pétards et de lance-flammes, selon les principes connus.

 

c) L'ennemi ayant commencé à attaquer le front fortifié dans la partie Est de l'ouvrage (Casemates d'Aschbach et d'Oberroedern), il avait intérêt à se débarrasser des armes tirant vers l'Est.

 

 

J - Effets sur les blocs 7 et 8 (entrée des munitions et entrée des hommes).

 

Deux ou trois bombes de gros calibres sont tombées aux abords de chaque entrée, créant des obstacles importants, (entonnoirs de 5 m de profondeur et de 12 à 15 mètres de diamètre aux lèvres). Deux bombes tombées contre les parois verticales de béton n'ont eu que des effets insignifiants (égratignures de l'enduit sans mise à nu d'armatures). Les antennes de T.S.F. ont été détruites, l'une entièrement, l'autre partiellement.

 

Moralité Les bombes des entrées auraient pu causer de graves dégâts dans l'entrée des munitions ou dans l'aérorefroidisseur, mais elles ont été ajustées avec une précision moindre que celles qui étaient destinées aux blocs d'avant ; cela peut tenir aux causes suivantes :

 

a) le bombardement des blocs d'entrée a été fait par des avions volant bas (environ 50 m) et non en piqué.

 

b) les blocs d'entrée sont entourés d'arbres qui ont certainement gêné la visée des aviateurs.

 

 

K - Effets sur les locaux souterrains.

 

Les locaux souterrains n'ont eu que peu de dégâts; on peut noter :

 

a) dans le magasin M2/M1 du bloc 3, une fissure longitudinale dans l'axe de la voûte et une fente plus importante dans le radier (dégât mentionné plus haut).

 

b) au P.C. d'artillerie, l'accentuation d'une fissure préexistante.

 

c) à la chambre d'officier du bloc 5 une cassure des piédroits courant horizontalement à 1 m 50 du sol au-dessous des naissances de la voûte ; dans le local du tableau divisionnaire et la courte galerie du bloc ainsi que dans la soute à munitions, courent également des fissures horizontales ou obliques

 

Moralité : Les dégâts des locaux souterrains ont été surtout gênants par l'afflux d'eau consécutif et n'ont pas, sur le moment, affecté la solidité des locaux ; ils auraient tous nécessité des réfections d'enduit ou le montage de tôles parapluies si l'ouvrage avait continué son service;

 

Parmi les trois dommages cités, les deux premiers ont été sans doute favorisés par des tensions internes préexistantes dans la maçonnerie ; le dernier serait plutôt dû au choc du coup de 420 tombé sur le bloc 5 ; le bloc et son puits se seraient ébranlés comme un monolithe, ce qui explique l'apparition de solutions de continuité fort éloignées du point d'impact et survenues dans la région reliant la base du puits aux maçonneries souterraines.

 

 

L - Aspect d'ensemble des dégâts.

 

L'aspect extérieur de l'ouvrage était impressionnant, mais il ne faut pas conclure de l'énumération qui précède que l'ouvrage était diminué. A part le bloc 6, aucun organe n'était sérieusement touché ; en particulier tout l'armement de l'ouvrage était intact à l'armistice et il a fallu le donner en bon état aux Allemands. Ceux-ci étaient tous très surpris de la faible importante des dégâts.

 

 

 

CHAPITRE III - RÉFLEXIONS DIVERSES CONSÉCUTIVES.

 

Ces réflexions sont faites au fil de la plume sous forme de critique de la fortification de la

C O R F à la lumière de l'expérience de leur auteur. Elles contiennent des suggestions pour la fortification de l'avenir ; elles supposent connues les discussions d'école sur les doctrines et les modes de fortification ; elles ne comportent pas de critique des détails de construction (par exemple : nécessité d'assécher les parois des galeries au moment de leur construction, mode de fixation aux parois des câbles et tuyauteries). Elles n'engagent naturellement que la responsabilité de leur auteur.

 

Ces réflexions sont classées sous les rubriques

 

A - Les places et leur commandement.

B - La vie des places en période calme.

C - Les organes passifs au combat.

D - Les organes actifs au combat.

 

 

A – Les places et leur commandement

 

 

1 -) Rôle de la forteresse dans la défense des Etats.

 

La fortification permet de choisir le théâtre du combat et d'attendre la décision, mais non de la donner. Cette vérité évidente semble avoir guidé les constructeurs de la fortification française, puis avoir été oubliée les années suivantes. Cet oubli a fait que l'on n'a pas forgé à temps l'outil de la décision; on n'a pensé à le forger qu'au moment où il était trop tard.

 

On entend communément proférer l'opinion que nous aurions évité l'invasion "si la ligne Maginot avait été prolongée jusqu'à la mer".   

 

Sans compter qu'il aurait fallu travailler pour cela plus que ce n'était la mode dans les milieux dirigeants, cette opinion est une erreur pour deux raisons au moins :

 

a) nous aurions eu pour le prix de ce prolongement une sérieuse flotte aérienne et de bonnes divisions cuirassées ;

 

b) un pareil développement de forteresse aurait englouti à la mobilisation tout le personnel jeune et tout le personnel technique de valeur que possédait le pays. Il aurait enlevé aux divisions de campagne le peu de dynamisme qu'elles avaient en 1940, (Je ne parle pas ici des cavaliers qui ont apporté leur allant dans tous les corps qu'ils ont formés).

 

La mission de la fortification en 1938 était de couvrir le pays pendant la mobilisation.

 

A la fin de 1939, on admit implicitement que cette mission de couverture devait durer jusqu'à ce que nous ayons une quantité suffisante de chars et d'avions pour pouvoir nous battre. Ceci était assez bien compris par les troupes de forteresse qui apportaient à cette mission tout le sérieux possible. Ce n'était en général pas compris par le personnel cantonné à l'arrière ou par les civils qui s'endormaient dans une sécurité trompeuse et s'installaient dans la guerre comme dans une spéculation de père de famille à longue échéance. La majorité des Français comptait inconsciemment sur l'aide que fournirait l'Amérique au bout de quelques années ; ils n'ont pas fait comme nos pères qui, de 1914 à 1917, n'avaient pas oublié le vieux proverbe du fabuliste :"Aide-toi, le ciel t'aidera",

 

 

2 -) Sécurité des places fermées.

 

Les attaques par surprise des avions et des chars revêtent une grande violence et menacent toute la fortification linéaire si celle-ci est percée ou tournée.

 

La sécurité de la fortification exige donc que ses flancs et ses arrières soient gardés comme son front.

 

On peut remarquer qu'en 1914 et en 1940, la fortification a canalisé l'invasion vers des régions peu ou pas fortifiées. En 1940, la possession de grosses places équipées à la moderne aurait pu permettre la prolongation de résistances durables, telles que celle de

Denfert - Rochereau en 1870 (1). La fortification en cordon de la Ligne Maginot était condamnée à se désintégrer par parties à bref délai si une contre-attaque vigoureuse et rapide ne suivait immédiatement l'attaque du pays (1) ; c'est d'ailleurs ce qui se serait passé si l'armistice n'avait arrêté la marche des événements. En effet, les éléments de la ligne pouvaient se prêter l'appui de leurs yeux mais ne pouvaient plus, fin juin 1939, s'entraider par leurs approvisionnements faute de communications sûres ; l'élément qui a le plus à agir est ainsi exposé à périr faute de munitions. (C'est ainsi qu'au moment de l'armistice, l'ouvrage de Schoenenbourg n'avait plus que 8 000 coups par tourelle de 75, alors que l'ouvrage voisin en avait encore plus de 16 000 par tourelle, sans que l'on puisse égaliser ces stocks).

 

Une fortification linéaire est donc condamnée en bloc à partir du moment où elle n'a plus un secours extérieur suffisant ; sa résistance est prolongée si on lui ajoute une seconde ligne et des bretelles (genre ligne Siegfried) ; son prix et ses effectifs sont alors prohibitifs si on veut qu'elle ait de la durée. La prolongation de la résistance est également obtenue si on fractionne la fortification d'un pays en un certain nombre de places fermées, gardant les trouées d'invasion et servant de points d'appui à des troupes de campagne. Une place fermée protégerait les approvisionnements destinés aux troupes de campagne et les mettrait à l'abri de coups de mains exécutés par les forces motorisées ennemies. Une telle place se composerait de plusieurs ouvrages d'un type dérivant du type actuel et disposés en étoile autour d'entrées communes. Elle serait comme un oursin qui pique de toutes parts et possède au centre un orifice lui servant à la fois de bouche et d'anus.

 

Dans l'établissement de la défense d'un état on peut hésiter entre deux conceptions :

 

a) Établir le long de la frontière quelques grosses places (de la taille atteinte en 1914 par Verdun) capables d'immobiliser dans un siège une grosse armée ennemie en attendant d'être débloquée par une armée de campagne.

 

Ces places peuvent servir d'appui à une troupe mobile qui retarde le plus possible le moment où elle est enfermée.

 

b) Établir un quadrillage de places, petites et nombreuses, échelonnées sur deux ou trois lignes et formant ce que Vauban a appelé un "pré carré" ; dans ce pré carré s'établit une armée de campagne prête à sortir à l'improviste sur l'ennemi par un côté quelconque du pré carré.

 

Quelle que soit la conception adoptée, il ne faut pas oublier que le béton doit être complété d'une armée de campagne agressive et mobile. Cette armée doit trouver dans les places des aménagements qui lui sont réservés (abris, hangars et garages souterrains, approvisionnements, ateliers, etc..,,).

 

 

3 -) Fragilité des casemates isolées.

 

Une ligne de casemates isolées doit être appuyée par des ouvrages d'artillerie et posséder avec ces ouvrages des moyens de transmissions très sûrs ; mais la question la plus délicate est celle de leur commandement.

 

Le commandement d'une casemate à officier unique lui donne une énorme responsabilité s'exerçant dans des domaines très variés (approvisionnements divers, fonctionnement des installations électromécaniques et des transmissions, maintien du bon état sanitaire, entretien des maçonneries et des abords, service de matériels de tir très variés et différents des matériels de campagne).

 

Cette responsabilité est comparable à celle d'un commandant d'un petit navire de guerre; mais ici le petit navire ne va jamais au port; si l'accès est possible en tout temps, il est toujours délicat car les transports par voie de terre jusqu'aux petites casemates sont presque toujours difficiles. Le commandant  de casemate est donc hanté par les difficultés d'approvisionnement et d'entretien, même en période calme, alors que des services divers en sont chargés.

 

Ces services (génie, transmissions, intendance, artillerie, santé) lui font à peu près défaut au moment du combat et il doit les remplacer à lui seul, alors qu'un commandant de gros ouvrages a sous ses ordres tout le personnel d'entretien voulu.

 

Il semble donc que les lignes de casemates isolées soient à proscrire chaque fois qu'il est possible; elles seront souvent remplacées avantageusement par des détachements rapides et bien armés qui pourront être appuyés par les feux des ouvrages.

 

Lorsqu'on devra construire des casemates ou des observatoires écartés, il sera bon de les réunir transversalement par une galerie aboutissant si possible à un ou deux ouvrages voisins; cette galerie procurerait les avantages suivants :

 

a) assurer le passage des câbles téléphoniques;

 

b) permettre l'accès du matériel et des approvisionnements par une voie plus commode que les accès extérieurs qui ne sont souvent que de mauvais chemins de terre.

 

c) procurer un appui moral aux équipages des casemates.

 

d) procurer un appui matériel par l'utilisation des moyens des ouvrages (infirmerie-ateliers),

 

e) faciliter l'écoute souterraine et éventuellement l'exécution des travaux de contre-mines.

 

 

4 -) Feux de front.

 

a) Artillerie.

 

Dans la fortification française, l'exécution, des feux de front était réservée aux batteries extérieures et éventuellement aux tourelles des ouvrages.

 

Les batteries extérieures pouvant facilement être prises à partie par les avions, il y aura lieu à l'avenir de généraliser l'emploi des tourelles. Toutefois, étant donné le rendement d'une tourelle et la possibilité d'avoir une D.C.A. active, il semble qu'il suffirait de mettre trois tourelles de 75 là où un ouvrage type CORF en comportait deux.

 

b) Infanterie.

 

Les feux d'infanterie de la ligne française comprenaient :

 

1) des feux de flanquement principaux (jumelages de mitrailleuses et canons antichars) sous béton;

 

2) des feux rayonnants de défense rapprochée (cloches G F M, grenades, etc,...),

 

3) des feux d'armes antichars sur plate-forme non protégée,

 

4) des feux de troupes d'intervalle (armement de campagne).

 

Le plan de feux des ouvrages (paragraphes 1 et 2 ci-dessus) qui doit assurer à lui seul une défense homogène présentait la grave imperfection d'être discontinu devant les ouvrages et les casemates. Le principe du flanquement réciproque des organes de feux est excellent, mais ce flanquement doit être complété par des feux de front efficaces ; or la fragilité des cloches G F M leur donne une valeur presque nulle (voir plus bas). Vauban attaquait les saillants des bastions, les Allemands, en 1940, attaquent directement les casemates ; c'est le même phénomène. On pourrait envisager de généraliser l'emploi des armes frontales sous cuirassement, telles que les jumelages de mitrailleuses sous cloche qui existaient dans certaines casemates. Mais on risque toujours que l'ennemi attaque en dehors du champ de cette cloche frontale; c'est par exemple ce qui s'est passé à la casemate d'Aschbach-Nord; il est tout de même vexant pour le mitrailleur qui a un bon outil de devoir faire appel à l'artillerie de l'ouvrage voisin. Comme on ne peut multiplier ces cuirassements, il est logique d'envisager un emploi plus général de la tourelle de mitrailleuses (ou mieux d'arme mixte). Si le pays est assez riche, il n'y a pas de raison pour ne pas mettre une tourelle d'arme mixte par casemate isolée et 2 ou 3 tourelles par ouvrage.

 

Quant aux canons antichars sur plate-forme fixe, ils seraient avantageusement remplacés par des unités de chars gardées sous abri jusqu'à l'heure du combat. Les ouvrages avaient reçu fin mai 1940 des sections ou demi-sections de chars destinés à la défense des entrées et des abords de l'ouvrage; c'était une excellente idée qui serait à retenir et à généraliser dans une fortification future.

 

On voit ici, en petit, coopérer l'organe fixe avec l'organe mobile qui est plus agressif, comme on devrait voir en grand coopérer la fortification et les troupes de campagne.

 

 

5 -) Rendement du personnel technique des places fermées.

 

Dans la ligne fortifiée française était dispersé un nombreux personnel technique de valeur à travers les ouvrages et les services d'entretien annexés à tous les échelons de la hiérarchie (sous-secteurs, secteurs, régions fortifiées, armée).

 

Cette dispersion était une conséquence de celle de la fortification. Elle nuisait au rendement de ce personnel qui, en temps de paix et en temps de guerre, passait son temps sur les routes et les chemins et qui déployait des trésors d'ingéniosité pour transporter les pièces à réparer ou les rechanges sans perdre trop de temps. Il est absurde de gaspiller ainsi l'énergie des meilleurs éléments de la nation ; l'économie de ce personnel est d'autant plus nécessaire que je suppose que nous voulons posséder à la fois une bonne fortification et une armée de campagne dynamique.

 

La concentration du personnel technique dans les places fermées lui assurera un meilleur rendement; le même atelier servira à assurer l'entretien des chars et des ouvrages et les approvisionnements seront communs. Il faudra avoir dans chaque place des ateliers et des magasins largement conçus ; s'ils n'existent pas dans la ville que l'on a fortifiée ; il faudra favoriser l'installation dans les places fortes de quincailleries et d'ateliers divers (mécanique, chaudronnerie, scierie, charpente, maçonnerie, etc ...), Pour peu qu'on y veille, les commerces et les industries utiles à la défense en temps de guerre se développeront tout seuls au moment de la construction de la place forte ; il suffira de guider leur développement. Logiquement, on devrait commencer cette construction par celle de magasins et d'ateliers sous béton; l'exécution en première urgence de ces commodités donnerait aux armées de campagne une certaine sécurité dans la manœuvre avant même que les organes de feux fixes existent. Ces locaux seraient mis à la disposition des entrepreneurs et des artisans chargés de la construction et de l'entretien de la fortification; la gérance des ateliers et des magasins pourrait très bien être donnée à bail pendant les périodes de paix sous réserve de conserver en magasin un stock minimum et d'entretenir les machines. Cette façon de faire permettrait d'améliorer le rendement de ces installations coûteuses en les faisant servir le cas échéant à des travaux civils.

 

 

6 -) Aménagement d'une place fermée.

 

La place comprend un périmètre central où seront construits des locaux à l'épreuve contenant abris, garages, entrepôts, ateliers et magasins ; ceux-ci seront répartis au voisinage d'un nœud routier et d'une gare mixte et desservis par voie normale et voie de 60. Une partie centrale devra être réservée aux commerces et aux distractions nécessaires à la vie de la population. Les services administratifs seront groupés et leurs locaux seront doublés d'abris dans lesquels ils se transféreront en cas d'alerte.

La protection de la place sera assurée par des organes de feux judicieusement implantés. Le gros ouvrage ayant donné satisfaction, dans l'ensemble, nous conservons son type et nous groupons les organes de feu principaux dans des ouvrages situés aux sommets d'une étoile entourant le périmètre central.

Les intervalles des ouvrages devront être gardés, mais on évitera de multiplier les casemates isolées en étalant les ouvrages en largeur. Les ouvrages auront chacun leur entrée.

 

Des organes de feu seront placés dans les abris du périmètre central de façon à pouvoir être servis le cas échéant par le personnel des magasins et des ateliers.

 

Il faudra développer les communications à l'épreuve entre les divers organes du périmètre central, et même les ouvrages si les crédits le permettent.

 

En temps de paix, les voies de 60 serviront à transporter les voyageurs privés à la façon d'un tramway et du métro afin de faciliter l'existence des militaires et de leur famille. Les logements et les casernes seront en effet étalés au voisinage des entrées des ouvrages donc éloignés du centre de la place.

 

Il faudra largement planter des arbres à haute tige partout  afin de camoufler les défenseurs ; les rues devront être larges pour rester praticables même après un bombardement.

 

 

7 -) Le Commandement des places.

 

Le commandement et l'organisation des troupes de forteresse à la mobilisation de 1939 était satisfaisant et adapté aux dispositions de notre fortification, à l'exception de trois points :

 

a) Un commandant de sous-secteur commandait simultanément des bataillons d'infanterie d'intervalle, des compagnies d'équipages de casemates et des compagnies d'équipages d'ouvrages ; ces unités étaient très hétéroclites; les dernières comprenaient les éléments

d'artillerie et du génie des casemates et ouvrages ; cependant il existait dans le sous-secteur des unités d'artillerie et du génie indépendantes du commandant du sous-secteur. L'ensemble était peu harmonieux et il en résultait des difficultés fréquentes.

Il vaudrait mieux avoir à chaque secteur ou sous-secteur un commandant des troupes  fixes et un commandant des troupes mobiles placés tous deux sous les ordres d'un chef commun. Les troupes fixes et les troupes mobiles ont des besoins et un esprit trop différents pour pouvoir collaborer directement.

 

b) Les troupes d'intervalle ne possédaient pas assez de mobilité; elles occupaient des positions reconnues depuis longtemps et attendaient, il eut fallu dans le secteur disposer d'un organe rapide jouant le rôle d'un groupe de reconnaissance ; il eut fallu dans chaque régiment de forteresse une unité mobile comprenant camions, autres blindés, chars ; artillerie.

 

c) Les troupes d'un même ouvrage étaient d'armes différentes ; elles avaient à grade égal des primes et des avancements différents et en concevaient de la jalousie. Il fallait beaucoup de tact et de dévouement de la part des officiers pour amortir les difficultés dues aux mesquineries de l'écusson et créer un esprit d'ouvrage.

 

Dans le cours de la guerre, des troupes de campagne ont été installées sur la position même sans que l'indépendance du commandement de la forteresse ait été réservée ; les officiers de ces troupes connaissant peu le terrain, organisaient comme s'ils taillaient dans du neuf. Il en résultait de perpétuels conflits d'attribution nuisant à la discipline et à l'exécution des travaux dont le programme changeait à chaque relève de division.

 

Si nous avons une fois à nouveau une fortification, il faudra instruire tous les officiers des devoirs et des possibilités d'action de chacun afin qu'on n'installe plus de troupes dans les zones battues par les armes sous béton et que les ordres soient transmis par la voie hiérarchique.

 

Cette instruction serait d'autant plus nécessaire dans la place fermée que j'imagine que les organes centraux en seraient communs aux éléments fixes de forteresses et aux troupes de campagne. Dans une certaine mesure, le commandant de la place jouerait le rôle d'un hôtelier vis à vis      des troupes de passage ; ceci nécessite un dressage de tous afin que les voyageurs ne s'ingèrent pas dans l'administration de l'hôtel et ne partent pas en emportant les petites cuillers. Pour éviter toute confusion, il serait alors bon de doter les éléments fixes d'une tenue et d'un statut uniformes ; le bon ordre exige qu'on ne puisse, confondre le personnel de l'hôtel et les voyageurs.

 

Il importe également que le commandant de la place soit entièrement maître chez lui aux sommets difficiles ; il doit donc ne relever que du commandement en chef et exercer le commandement sur toutes les troupes étrangères à la garnison à partir du moment où elles sont bloquées dans la place. Cette question du commandement des places est évidemment épineuse et on ne peut lui trouver qu'une solution appropriée ajustée au mieux au système de fortification adopté. De toutes façons, il faut que les officiers commandant les troupes de campagne sachent bien tous qu'ils peuvent, dans certaines circonstances, être subordonnés à un commandant de place forte.

 

 

8 -) Organisation des troupes da forteresse.

 

Les troupes organiques des secteurs fortifiés ou des places doivent comprendre des éléments les rendant indépendantes des troupes de campagne, tels que :

 

a) D.C.A. (sous béton, mobile, chasse aérienne).

 

b) Troupes de reconnaissance (autos et chars légers).

 

c) Troupes de combat mobile (autos et chars légers).

 

d) Aviation (quelques appareils d'observation et de combat).

 

Le commandement hésitera toujours à mettre à la disposition des secteurs ou des places des éléments mobiles sous le prétexte que ces éléments ne rendront que des services momentanés, restent inutilisés le reste du temps et pourraient être plus utiles en étant groupés en une masse de manœuvre. On n'hésite pas, en période active du temps de paix, à faire des efforts gigantesques pour construire du béton ou des cuirassements ; mais on n'ose pas, au moment décisif, disposer des éléments mobiles qui donneraient au béton tout le rendement possible. C'est ainsi que les commandants d'ouvrage sont souvent aveugles sous leur carapace.

 

L'histoire nous apprend que les garnisons ont souvent manqué de moyens de renseignements (par exemple en 1914 : à Manonvillers, au fort de Troyon où l'approche des Allemands a été connue fortuitement par un civil). C'est ce qui permet le succès des attaques par surprise (prise de Liège en 1914). Il est classique de vanter le procédé de la défense extérieure active de Denfert-Rochereaut mais il faut un minimum de moyens pour le mettre en pratique. En période critique, le commandant de place forte ou d'ouvrage n'a que ses moyens organiques et ne peut compter sur personne ; si ces moyens ne comprennent pas un minimum d'éléments de reconnaissance rapide, il ne sera prévenu de l'approche de l'ennemi que par celui-ci ou par hasard.

 

 

B - La vie en période calme dans un ouvrage.)

 

9 -) Prises d'air.

 

L'utilisation des entrées comme prises d'air pur entraîne des sujétions graves :

 

a) les ravitaillements et manutentions aux entrées se font dans un courant d'air qui entraîne à l'intérieur les poussières et les gaz d'échappements des véhicules.

 

b) les consignes concernant l'ouverture ou la fermeture des portes de sas et des portes blindées varient selon les saisons et l'heure de la journée, ce qui entraîne de l'incertitude chez les occupants du bloc.

 

c) en période d'alerte, surtout la nuit, il est prudent de fermer les portes blindées ; ceci est impossible sans mettre les blocs d'entrée en dépression.

 

Il est désirable d'aménager une prise générale d'air pur placée sous le feu des organes de défense des blocs d'entrée ; elle peut très bien faire partie de l'un des blocs pourvu que la conduite d'entrée de l'air débouche dans l'ouvrage en deçà du sas. Il serait peut être même possible de condenser un peu de vapeur d'eau lorsque l'air est voisin de l'état de saturation en pratiquant des chicanes dans la conduite d'entrée. Celle-ci pourrait d'ailleurs être obturée par des portes étanches indépendantes de celles du bloc. Les blocs d'entrée seraient ventilés comme les autres blocs.

 

10 -) Ventilation des blocs actifs.

 

Il serait bon d'établir un sas ou une simple porte étanche à la base des puits, ainsi qu'un jeu de clapets dans la conduite de ventilation de régime air pur ; ces clapets permettraient d'envoyer à volonté l'air pur pulsé dans les locaux des dessous ou dans ceux des dessus. Les avantages seraient les suivants :

 

a) la condensation serait diminuée si on ventilait en plein hiver directement les locaux des dessus ; la ventilation des dessous serait alors réduite aux minimum pour ne pas envoyer trop d'humidité dans les dessus. D'ailleurs la fermeture de la porte au bas du puits empêcherait le tirage naturel de s'établir.

 

b) on pourrait ventiler fortement les locaux des dessus s'ils étaient enfumés ou gazés, ou même simplement trop chauds : en été la température en période d'occupation sans combat monte souvent à plus de 25° tandis que l'air des dessous est à 14°; on pourrait alors forcer la ventilation de ces locaux sans amener d'excès de condensation dans les dessous.

 

c) la présence de ces portes atténuerait la transmission des bruits par les puits qui constituent des cages de résonance.

La ventilation en régime gazé ne subirait aucune modification)

 

Constitution des portes de sas.

 

Les portes de sas utilisées à l'ouvrage de Schoenenbourg assuraient la continuité du rail de la voie de 60 et non celle du joint d'étanchéité, malgré un jeu compliqué de leviers et de verrous. C'est l'inverse qui devrait avoir lieu : des verrous progressifs doivent exister sur tout 1e périmètre de la porte; les gonds doivent avoir un jeu suffisant pour que les verrous puissent presser la porte contre son bâti fixe; le joint doit être fixé sur la porte pour ne pas être détérioré par le frottement des pieds sur le bord du seuil. Les portes étanches de l'avenir devront consentir à se fermer sans qu'il soit besoin d'user de violence et sans produire un bruit comparable à celui d'un coup de canon.

 

 

12 -) Monte-charges.

 

Le mode d'entrée desservie par monte-charges est à déconseiller chaque fois qu'il est possible en raison des difficultés et lenteurs des manœuvres.

 

Il serait utile de disposer d'un treuil électrique mobile à débit suffisant (2 tonnes/heure); ce treuil permettrait de monter des matériaux dans les puits démunis de monte-charge ou dont le monte-charge est avarié. Ce serait bien utile en cas de réparation urgente car la manœuvre à bras d'un seau au bout d'une corde est déplorablement lente. (Cas de la réparation des avaries survenues au bloc 6 de l'ouvrage à la suite du bombardement par avions).

 

 

13 -) Insuffisance de locaux.

 

Certains locaux se sont révélés à l'usage trop exigus ; ce défaut était plus sensible à l'ouvrage de Schoenenbourg que dans d'autres car les difficultés de construction dues au terrain avaient rendu celle-ci relativement coûteuse. On peut signaler dans cet ordre d'idée.

 

a) les locaux à vivres. Ils étaient trop exigus et placés trop près de la cuisine qui les rendait humides. Il y aurait lieu dans un ouvrage neuf de prévoir pour les vivres courants (pain, viande, vivres du jour) un local aussi sec que possible. Ces vivres sont exposés à s'avarier rapidement dans l'humidité qui règne dans les dessous en été. Pour empêcher le pain de moisir en 12 heures l'été, nous le laissions dans l'entrée des munitions où il était exposé aux injures de 1a poussière et des passants.

 

Une chambre frigorifique est également d'une grande utilité. Nous en avions installé une avec des moyens de fortune. Elle présentait l'avantage d'être sèche car l'humidité se condensait sur le réfrigérateur.

 

La meilleure solution pour la conservation des vivres serait d'installer des locaux spacieux, bien réfrigérés et de refroidir vigoureusement l'air de ventilation de ces locaux afin qu'il n'y apporte aucune humidité,

 

b) Les locaux administratifs. Ils n'étaient pas prévus lors de la construction et ont été installés dans une chambre d'officier.

 

c) Locaux pour le couchage et les repas. Ces locaux étaient beaucoup trop petits ; les chambres prévues pour 24 hommes couchés sur deux étages avaient été transformées en chambres pour 36 couchés sur trois étages. L'encombrement en faisait de véritables taudis.

 

Il semblerait judicieux d'adopter les hamacs comme moyen de couchage    chaque homme serait muni dans l'ouvrage d'un hamac et d'une grande boîte métallique pour mettre ses affaires personnelles ; aucune autre valise ou boîte ne serait tolérée; les hamacs seraient rangés dans des coffres dès qu'on n'en aurait plus besoin ; ces dispositions faciliteraient beaucoup l'ordre et la relève ; le mobilier des locaux serait complété par des porte-manteaux, des tables pliantes. L'éclairage devrait être placé assez bas pour que les occupants puissent y lire ou écrire commodément.

 

La ventilation des locaux d'habitation doit être étudiée avec soin pour fournir un air frais et sec ; les locaux de l'ouvrage étaient à une température de 22° à 25° et ce n'est qu'en plein hiver qu'il n'y avait pas de condensation.

 

Il faut disposer les couloirs de façon à séparer les circuits d'aération des locaux d'habitation de ceux des locaux humides (cuisine, douche, lavoir, réservoirs) quel que soit le sens des appels naturels de l'air.

 

e) Atelier. Il est nécessaire d'avoir une forge et un atelier à bois (menuiserie et charpente).

 

Ces installations avaient dû être installées à l'extérieur faute d'emplacement commode à l'intérieur; elles n'ont pas chômé un seul jour et leur absence s'est faite sentir dès le début des bombardements,

 

f) Entrée des munitions. Son exiguïté était rendue plus sensible du fait qu'elle comportait un monte-charge et qu'il fallait obligatoirement y faire ces manutentions pour tout. Il faut y prévoir le garage d'un ou deux véhicules pour le service de l'ouvrage et un local pour entreposer et trier le matériel entrant; ce local serait garé par le personnel des transports de l'ouvrage.

 

g) Lavoir et séchoir. Une installation de blanchissage de linge eut été fort utile.

 

 

14 -) Climatisation.

 

Il ne n'a pas été donné d'apprécier les installations de climatisation qui étaient en cours de montage pendant le printemps 1940. Le principe adopté en était de chauffer les locaux pour éviter la condensation. J'ai l'impression qu'elle n'aurait pas atteint entièrement son but dans l'ouvrage de Schoenenbourg car l'air extérieur était la nuit en été souvent à 20 à 25° et saturé. Il faut se persuader que l'ennemi journalier dans un ouvrage est l'humidité, et aussi que l'on a toujours une température trop forte dans les locaux habités.

Je pense qu'il serait bon de nuancer la solution à adopter car les problèmes de conditionnement de l'air sont différents selon les locaux; en particulier :

 

a) Cuisine, W.C., lavoir et lavabos. Il faut une aspiration énergique de l'air vicié et humide.

 

b) Locaux d'habitation. Il faut y maintenir une température sèche de 18 à 20° malgré la présence de nombreux occupants.

 

Il faut également veiller à ce que les mesures prises pour la ventilation ou le conditionnement de l'air ne soient pas contrariées par une disposition locale ; je peux signaler trois faits de ce genre :

 

1 -) La canalisation d'évacuation des gaz brûlés des moteurs suivait le puits du bloc d'entrée des hommes et le rendait en tout temps relativement chaud et sec ; il en résultait un appel constant d'air de bas en haut dans ce puits (V. fig. 3). Or la prise d'air de ventilation de la caserne était du côté de ce puits car on avait escompté en l'installation que le courant d'air normal s'établirait des entrées vers les avants. En réalité, seule l'entrée des munitions servait de prise d'air et l'appel naturel de l'air était tel qu'il est indiqué sur la figure. Ceci rendait mauvaise l'aération de la caserne car la ventilation normale aspirait en partie l'air vicié des locaux et de la cuisine. Il eut fallu tenir compte des courants d'air naturels constatés dans l'ouvrage en service pour 1a disposition de la ventilation de la caserne et placer la prise d'air à l'emplacement marqué h sur la figure.

 

2 -) Les bâches à eau de refroidissement des moteurs étaient placées dans une longue alvéole débouchant directement sur l'usine; en régime continu, leur température montait à 35° environ et leur rayonnement contribuait beaucoup à échauffer l'usine et à y rendre le séjour pénible : il faudrait à l'avenir éviter un voisinage aussi étroit entre ces bâches et l'usine.

3 -) Les réservoirs à eau principaux de l'ouvrage étaient placés dans deux locaux débouchant sur le couloir de la caserne; ils y amenaient une forte condensation tant par leur température relativement faible que par l'humidité qu'ils engendraient. De même les locaux des douches débouchaient sur le couloir de la caserne. Il y aurait lieu de prévoir un circuit particulier d'aérage pour tous les locaux humides (cuisine, douches, lavoir, réservoir).

 

 

15-) Isolement acoustique.

 

Les bruits de l'ouvrage se transmettent à une grande distance; il y aurait intérêt à isoler le P.C. et la caserne par des galeries assez longues munies de portes insonores ne claquant pas (par exemple portes roulantes à butées élastiques).

 

Dans le même ordre d'idée, il faut impérativement placer un téléphone au moins par bloc dans une cabine insonore; le simple bruit de la ventilation empêche souvent de téléphoner.

 

 

16 -) Fosses d'aisance.

 

Le traitement de la soude n'a pas donné d'excellents résultats sous la forme préconisée par le constructeur des fosses ASEPTA car la mécanique se rouille ou se bloque. On est arrivé à rendre les fosses presque inodores en faisant passer une équipe de 4 hommes qui, chaque jour, lavait le siège et ses abords et agitait le contenu de 1a fosse et qui, chaque semaine mettait la dose de soude et, le lendemain, vidangeait le liquide. Cette équipe travaillait avec ardeur et n'était pas inodore.

Il semble qu'une fosse plus simple que la fosse ASEPTA ne nécessiterait pas plus de travail.

Il existe des sièges séparateurs qui permettent un traitement rationnel de l'urine et des matières car leurs trajets sont séparés dès l'origine. Leur emploi faciliterait sans doute la solution du délicat problème du traitement de l'évacuation des déchets.

 

 

17 -) Sécurité électrique.

 

Il eut été utile de disposer de tableaux à 2 jeux de barres à la centrale et dans les sous-stations afin de ne pas interrompre le service de l'électricité lors des réparations aux disjoncteurs ou des vérifications d'isolement.

Il eût été également intéressant de disposer d'un petit groupe électrogène de secours aux avants suffisant au moins aux besoins de la lumière en cas d'avarie à la galerie principale (par bombardement) ou d'incendie, la panne de lumière eût entraîné des difficultés de service ou même des paniques. On a beau prévoir des lampes ou des bougies qu'il faut allumer au moment critique, rien ne vaut la lumière électrique d'autant plus qu'elle ne vicie pas l'atmosphère.

 

18 -) Relèves.

 

La relève des troupes d'ouvrages est une nécessité au bout de quelques mois de séjour ; le mieux est d'en tenir compte en majorant légèrement les tableaux d'effectifs. L'envoi du personnel dans un cantonnement à l'arrière est une demi-mesure difficile à appliquer en période troublée (longueur des transports) ou en période de permission (interférence des tours de relève et de permission). Il vaut mieux, dans ce dernier cas, prévoir des permissions plus longues pour le personnel des ouvrages pour lui permettre de respirer et de contempler la verdure et des visages gracieux.

 

C - Les organes passifs au combat.

19 -) Obstacles antichars.

 

Le réseau-rail est coûteux et assez vulnérable; dans certains cas un fossé revêtu ou un mur en béton ne serait pas plus cher. Il faut chercher à tracer l'obstacle antichar dans des régions basses où on peut le constituer par des inondations ou de larges fossés remplis d'eau.

 

 

20 -) Entraînement du personnel.

 

La confiance dans la bonne qualité de la forteresse n'a été parfaite dans la troupe, et même chez les cadres, qu'après deux ou trois bombardements ; le premier bombardement avait produit un léger flottement qui ne s'est pas reproduit par la suite ; il eût pu être funeste en cas d'attaque immédiate (la casemate d'Oberroedern-Nord faillit être prise par une vague d'assaut qui suivit immédiatement un bombardement par avion; par bonheur les Allemands furent arrêtés alors que les premiers étaient parvenus sur le bord du fossé diamant, une ou deux minutes après la dernière bombe).

 

Il conviendrait d'entraîner le personnel aux bruits et aux chocs du bombardement en le faisant rester dans une casemate bombardée pendant une séance d'instruction en temps de paix. Cet entraînement devrait être subi au moins par les officiers et sous-officiers d'active et de réserve appelés à servir dans la fortification.

 

J'insiste sur l'utilité de cet entraînement car ma proposition pourrait faire sourire les personnes qui n'ont pas subi un bombardement en étant elles-mêmes dans la fortification ; ces personnes ont en celle-ci une confiance d'autant plus naïve qu'elles en sont plus éloignées, ou bien qu'elles reçoivent des projectiles en étant à l'air libre. Il faut penser que le premier réflexe du monsieur qui est derrière un créneau est d'aller se terrer au fond de son trou où il est parfaitement aveugle. L'homme inquiet se figure toujours qu'il serait mieux ailleurs ; il faut combattre cet instinct par une instruction appropriée.

 

21 -) Epaisseur des parois et massifs de rocaille.

 

Dans la fortification française, les murs non exposés aux coups de l'artillerie étaient moins épais que les autres et démunis de massifs de rocaille. Les aviateurs allemands ont profité de cette particularité pour attaquer systématiquement les murs de gorge, envoyant des bombes jusque dans les fossés diamants ; (exemple : bloc 6 de Schoenenbourg : voir plus haut; casemate de 135 du Hochwald : détérioration de l'installation de ventilation ; abri de Hoffen : mise hors de service de l'aérorefroidisseur).

 

A l'avenir, la protection devra être la même dans toutes les directions et assurée par une égale épaisseur des parois et du massif de rocaille. Les orifices divers débouchant sur les murs de gorge (portes, créneaux, prises d'air etc...) devront être protégés contre les grosses bombes; il pourra être intéressant d'augmenter les dimensions des visières pour améliorer la protection de ces ouvertures en écartant les points d'éclatement; dans ce cas il faudra des colonnes ou des piédroits pour les supporter et il faudra veiller à ne pas canaliser le souffle des projectiles vers des parties vulnérables. On pourra également envisager l'emploi de visières métalliques.

 

22 -) Liaison rigide du puits et du bloc

 

Lorsqu'un bloc reçoit un choc ou une série de chocs, il subit un déplacement pouvant entraîner des cassures dans des parties assez éloignées; c'est ainsi que :

 

a) au bloc 4, une légère cassure horizontale existe à la jonction du puits et du radier des dessus du bloc;

 

b) au bloc 3, une cassure identique existe et des fissures sont apparues dans l'axe d'un magasin à munitions souterrain (comme il a été dit cette détérioration semble imputable à des tensions préexistant dans la maçonnerie ; elle a été vraisemblablement favorisée par la transmission de l'ébranlement à travers la maçonnerie).

 

c) au bloc 5 une cassure horizontale importante s'est produite dans la chambre d'officiers souterraine qui se trouve dans les dessous à environ 8 m du puits; cette cassure court à 1 m 50 du radier et semble due à un soulèvement momentané de la voûte suivi d'une chute de celle-ci (l'enduit a éclaté et gonflé tout le long de la cassure); un système de cassures inclinées et horizontales complète cette cassure principale et règne dans la galerie et les locaux voisins (tableau divisionnaire, soute à munitions). Il est à noter que l'effet maximum s'est produit dans la partie abîmée la plus éloignée du puits, sensiblement dans la direction du coup de 420 qui a provoqué l'avarie et en deçà du point de chute.

 

d) au bloc 6 (fig. I) est apparu un système de cassures horizontales ou inclinées à 45°, certaines cassures (en particulier C) présentent un gonflement de l'enduit ; de plus, la partie inférieure du puits a subi un affaissement de 1 à 2 cm par rapport à la galerie souterraine ; les parois elles-mêmes de la galerie sont fendues et témoignent d'un affaissement survenu au droit du puits. Les circonstances locales ont été examinées plus haut.

 

La cause principale des détériorations lointaines aux locaux souterrains est la transmission de l'ébranlement par la maçonnerie; cette transmission serait moindre s'il existait un joint entre le bloc et le puits; il localiserait les dégâts dus des projectiles de gros calibre (je crois que l'essai d'un tel joint a été fait dans les ouvrages récents). Toutefois, ce joint ne serait à préconiser que dans le cas de gros blocs présentant une grande inertie ; en effet, un bloc trop léger pourrait être déplacé avec excès par rapport à son puits, ce qui serait préjudiciable à l'étanchéité et au monte-charge.

 

Il serait également bon de séparer la maçonnerie du puits de celle des locaux souterrains et en particulier de celle des voûtes par un joint recouvert après coup de matériaux souples et muni d'une gouttière pour recueillir l'eau d'infiltration.

 

 

23 -) Prise d'eau et drainage.

 

Il est nécessaire d'enlever l'eau derrière les maçonneries car elle les traverse et apparaît à l'intrados ; cette opération est d'une utilité directe pour l'alimentation en eau lorsqu'elle est en quantité suffisante.

 

Dans la majeure partie des cas, le terrain ne fournit pas d'eau en quantité appréciable, mais il faut cependant la drainer pour qu'elle ne vienne pas apparaître à l'intrados où elle détériore les installations intérieures et compromet l'habitabilité. La solution adoptée à l'ouvrage de Schoenenbourg consistait à faire des drains et des enduits d'intrados; elle est coûteuse et compromise par les mouvements du terrain et les ébranlements. Il y aurait lieu de mettre au point un système de drainage, en poteries par exemple, qui règnerait à l'extrados des voûtes et des piédroits à raison d'environ 1 mètre linéaire par m2 de maçonnerie et qui serait mis en place à la construction des galeries. L'étanchéité de la maçonnerie serait assurée en la faisant aussi compacte que possible et en lui appliquant un enduit spécial d'intrados.

 

En terrain aquifère, le problème est plus délicat car il faut éviter que la circulation de l'eau souterraine ne compromette la stabilité du terrain et, par suite, des galeries ; il est également intéressant de capter ces eaux pour l'alimentation de l'ouvrage. Il y a intérêt dans ce cas à abaisser le niveau de la nappe par des prises d'eau faites assez loin des galeries de circulation et des locaux des dessous et des dessus pour qu'ils ne soient pas affectés par les tassements avoisinant les captages. Ces prises d'eau peuvent être établies au bout de galeries visitables ou de forages obliques à large section ; ces galeries ou forages devront avoir une longueur suffisante et pouvoir être facilement curés.

 

 

24 -) Chambre de repos.

 

a) Il est illusoire de placer une chambre de repos unique dans les dessus d'un bloc d'infanterie car le bruit y est excessif, même en dehors des périodes de combat. Tout bloc devrait avoir sa ou ses chambres de repos en souterrain et n'avoir dans les dessus qu'un bat-flanc ou des hamacs pour l'équipe de piquet.

 

b) En cas de gros bombardement (bombes d'avion ou 420), le bruit est presque aussi fort à la caserne qu'aux avants ; seul le balancement du sol diminue d'amplitude à mesure qu'on s'éloigne du point d'impact. Dans tout l'ouvrage, chacun a toujours l'impression que les coups tombent juste au-dessus de lui. L'éloignement des locaux de repli avait été préconisé en partie pour assurer la tranquillité du personnel ou pendant les bombardements ; on voit qu'un éloignement de 1 km ne remplit pas cet espoir : le personnel au repos est réveillé de toute façon par les gros bombardements et se demande anxieusement ce qui se passe car il croit que les coups tombent au-dessus de lui.

 

Il est à noter que les autres raisons qui ont fait éloigner les locaux de repos des avants conservent toute leur valeur.

 

 

25 -) Issues de secours aux avants.

 

Il est nécessaire de sortir fréquemment sur les dessus, tant en période calme qu'en période de combat. Il y aurait lieu d'étudier les issues de secours des blocs d'avant, de façon qu'elles soient praticables au matériel léger et à l'outillage d'organisation du terrain (rouleaux de ronces, rondins, mines antichars).

 

A cet égard, les issues de secours de l'ouvrage de Schoenenbourg étaient malcommodes et nécessitaient des manutentions longues. Elles étaient basses, munies de chicanes, donnaient sur le fond du fossé diamant d'où il fallait sortir en évitant l'antenne de T.S.F. de fossé.

 

I1 est à noter qu'elles étaient bien conçues sous le rapport de la protection car l'issue du bloc 6 n'a eu que des dégâts minimes bien qu'une grosse bombe ait éclaté dans le fossé diamant à quelques mètres de la grille.

Il y aurait lieu de rendre le passage plus commode, mais sans diminuer la sécurité.

 

Remarque : Il ne semble pas heureux de placer les prises d'air dans les entrées de secours : à l'ouvrage du Hochwald, le souffle d'une bombe, canalisé dans le passage d'une issue de secours a ensuite pénétré dans le conduit de ventilation et détérioré la batterie de filtres. A cet égard, il faut éviter de placer des prises d'air dans des endroits creux ou des angles rentrants de la maçonnerie. Le mieux est de les faire déboucher dans la surface plane d'un piédroit ou d'une dalle.

 

 

26 -) Protection des locaux souterrains.

 

Les bombardements de l'ouvrage de Schoenenbourg ont été plus denses que ceux des ouvrages voisins, si toutefois ils n'ont rien eu de comparable à ceux qu'ont reçus certains forts pendant la Grande Guerre. Aussi ne peut-on tirer d'enseignement formel en ce qui concerne la protection des locaux souterrains.

 

L'emploi systématique des grosses bombes ameublit le sol jusqu'à une profondeur de 9 à 10 mètres. La pénétration des projectiles d'artillerie de gros calibre s'en trouverait accrue sensiblement d'autant car la couche superficielle bouleversée n'offre plus grande résistance. Un coup de 420 tombant au fond d'un gros entonnoir gagnerait plus de 9 mètres pour pénétrer dans le sol.

 

Si on veut assurer la protection des galeries souterraines par la terre vierge, il faut donc les tracer à une profondeur supérieure d'au moins une dizaine de mètres à celle qui était admise dans la fortification française. Cet accroissement varie naturellement en fonction de la nature du terrain.

 

Le chiffre de 10 mètres correspond à la terre sableuse des avants du Schoenenbourg. 

 

 

27 -) Transmissions.

 

J'ai noté les particularités suivantes :

 

a) les centraux téléphoniques souterrains présentaient facilement de l'induction entre les circuits; elle semble due en grande partie à l'humidité.

 

b) les appareils téléphoniques sont délicats, beaucoup trop sensibles à l'humidité qui abîme les microphones; les combinés coupent les cordons dont il est fait une grande consommation. Il y aurait lieu de s'inspirer des types d'appareils utilisés dans l'industrie à l'extérieur (gares) ou dans les mines.

 

c) les entrées de câbles téléphoniques dans les casemates ont été coupées par les bombes (Bois d'Hoffen, Oberroedern-Nord, Verrerie). Il y aurait lieu de les établir plus profondément.

 

d) les antennes de T S F de façade ou de fossé sont vulnérables. Il serait plus simple de sortir par un trou de périscope ou un orifice à axe vertical spécial une antenne constituée par un tube, télescopique ou non. Des jeux d'antenne de rechange permettraient de remplacer les antennes brisées par le bombardement. Il conviendrait évidemment que cet appareillage soit simple, car il serait intéressant d'avoir un grand nombre de jeux de rechange.

 

L'emploi d'ondes courtes semble devoir donner de bons résultats car la fortification est construite sur des lieux relativement élevés.

 

 

28- ) Camouflage des dessus aux vues aériennes.

 

a) arbres : Les jets de bombes d'avions acquièrent à l'heure actuelle une grande précision ; toutefois celle-ci est diminuée par la présence d'arbres car d'une part ils augmentent l'altitude à laquelle l'avion doit lâcher son projectile, d'autre part, ils gênent la visée en formant écran et en créant des tâches d'ombre ; à l'ouvrage, le bombardement des blocs d'entrée a été moins précis qu'aux avants et toutes les bombes de gros calibre sont tombées trop court ; or, les blocs d'entrée étaient entourés d'arbres a une distance de 40 mètres environ (hauteur des arbres15 mètres environ).

 

Ces arbres présenteraient de plus l'avantage d'assainir les terrains et de maintenir leur stabilité; ils devraient être plantés à des endroits choisis avec discernement ; mais il faut les maintenir malgré la malveillance dont le Français moyen est naïvement animé et qui s'autorise d'un dégagement de champ de tir, des besoins en chauffage ou pour la construction d'abris.

 

Il faut choisir les essences avec discernement car on a couru plusieurs fois à des échecs en plantant des arbres ou des plantes grimpantes dans des sols qui ne leur convenaient pas.

 

b) Moyens artificiels. En général, les moyens artificiels de camouflage ont un effet préventif car ils empêchent l'ennemi d'apercevoir l'organe camouflé.

 

Ils doivent être parfaitement agencés car au moindre doute l'ennemi peut tirer dessus et compromettre leur effet car ils ne tiennent pas sous le feu. Je peux signaler un cas où un tel camouflage a eu du succès, c'est celui de la section de 120 de Bange installée en plein sur l'ouvrage dans un talus; l'herbe du filet de camouflage était soigneusement entretenue et les pistes canalisées par des clôtures en fil de fer.

Les Allemands venus à l'ouvrage en Juillet 1940 ont tous été surpris de trouver les 2 pièces à cet endroit; d'ailleurs elles n'avaient jamais fait l'objet d'un tir de représailles quelconque.

 

c) Fumée. Les arbres et tous les moyens artificiels n'ayant qu'une durée limitée sous le feu, il y aurait lieu de disposer d'un appareil fumigène à gros débit, permettant de camoufler les dessus en 5 minutes (temps nécessaire à une vague de bombardiers pour prendre ses dispositions d'attaque entre le moment où elle est signalée et le moment où arrive la première bombe) et d'entretenir ensuite le nuage artificiel.

 

Il ne peut être question de placer une ligne circulaire de pots fumigènes autour de l'ouvrage, mais on peut imaginer une buse orientable crachant de la fumée contre le vent avec une force d'autant plus grande que le vent est plus rapide. Ces appareils à grand débit pourraient s'inspirer de ceux en usage dans la marine.

 

S'il est impossible de lancer la fumée avec assez de force d'un point d'émission unique, il faudra revoir plusieurs appareils fumigènes placés dans les blocs extrêmes dans la direction des vents dominants.

 

 

D - Les organes actifs au combat.

 

29  -) La cloche G.F.M.

 

Elle présente les inconvénients suivants :

 

a) grandeur excessive des créneaux et fragilité de leur équipement; un projectile de petit calibre tombant à proximité suffit à y faire des dégâts ou même à tuer le guetteur (ouvrage de Schoenenbourg et casemate d'Oberroedern-Sud).

 

b) le déplacement de l'arme d'un         créneau au voisin est long et laisse le guetteur à découvert, il nécessite des manœuvres précises et délicates qui ne peuvent être exécutées correctement dans la fièvre du combat : les rotules sont  de véritables appareils de laboratoire.                      

 

c) les créneaux sont placés très bas : l'observatoire ou le tir tendu sont gênés par le moindre entonnoir ; il arrive que les créneaux soient engorgés de terre projetée par les explosions.

 

d) il est impossible d'entendre de la cloche les bruits extérieurs même quand la ventilation ne fonctionne pas ; par contre on entend très bien de l'extérieur ce qui se passe dans la cloche car les bruits y résonnent (toux, conversation téléphonique, pas sur l'échelle). Ces inconvénients viennent surtout de ce que l'on a voulu faire des cloches des organes bons à tout : observation, tir tendu, tir courbe.

 

1 ère solution : On dissocie ces rôles et on les confie à des organes différents :

 

a) observation : le guet serait bien assuré par l'observation périscopique ; le périscope traverserait un cuirassement à faible relief, il comporterait un appareil d'écoute placé au-dessus des objectifs et constitué par deux petits cornets reliés à un stéthoscope (un appareil d'essai a été construit par le lieutenant AUDRAN et a donné satisfaction : il permettait la localisation de la direction d'un bruit à 1 grade près et on pouvait entendre le pas d'un homme marchant dans l'herbe à 30 mètres; il se sortait par un trou vertical de périscope F2 et se dépliait à l'extérieur).

 

b) tir tendu : la tourelle de mitrailleuse est un organe bien au point ; on peut monter dans un ouvrage 2 ou 3 tourelles d'arme mixte au lieu des 6 ou 8 cloches qui existaient dans la partie avant d'un ouvrage français,

 

c) tir courbe : le mortier de 50 est une arme fragile, on peut imaginer un lance-grenades monté à part sous des cuirassements fixes ou bien monté dans les tourelles précédentes.

 

2ème solution:

Il serait possible de conserver les avantages de la cloche G.F.M. (identité du personnel de guet et de tir, bonne implantation pour ces 2 missions) en les remplaçant par des tourelles; ces tourelles étant toutes en azimuts pourraient être en nombre moindre que les cloches (3 ou 4 pour la partie avant, 2 pour la partie arrière).

 

Chaque tourelle comporterait répartis sur la circonférence : une mitrailleuse ou arme mixte, un lance-grenades, un ou deux créneaux munis d'un robuste épiscope et d'un appareil d'écoute. L'ensemble pourrait être logé dans une tourelle un peu plus petite que celle de 75 R 32 et servi par 2 ou 3 hommes. Le fait de placer 2 tourelles aux entrées améliorerait leur défense qui était insuffisante.

 

 

30 -) Remarques diverses concernant l'observation,

 

a) L'observation pourrait être assurée du haut d'un mât blindé ou d'un mât télescopique éclipsable ; ce mât aurait des proportions analogues à celles d'un mât de cuirassé et offrirait un poste d'observation qui ne serait pas gêné par les entonnoirs. Il serait fort utile pour l'observation des avions et pourrait même être muni de mitrailleuses de D.C.A.

 

b) La télévision pourrait permettre de transmettre aux P.C. souterrains l'aspect extérieur des événements.

 

c) L'emploi sur les tourelles de télémètres (analogues aux télémètres montés sur les tourelles de marine) permettrait de tirer directement sur les objectifs au sol et aériens.

 

 

31 -) Défense rapprochée.

 

La défense rapprochée des ouvrages français était insuffisante, surtout celle des petits ouvrages isolés (casemates) Le réseau de rails et le réseau de ronces sont très vulnérables et les moyens de tir des cloches n'étaient pas assez sûrs.

 

La valeur de l'obstacle entourant les ouvrages doit être accrue; il y aurait lieu de construire des fossés fortement revêtus ou des murs en béton flanqués par des organes spécialisés (caponnières ou coffres).

 

Les organes de feu doivent être sûrs; à cet égard la tourelle de mitrailleuses ou d'arme mixte est bien supérieure à la cloche G.F.M.

 

 

32 -) Sondages, météorologiques.

 

La précision des méthodes de l'artillerie de forteresse exige une connaissance parfaite des éléments météorologiques locaux. Les renseignements de poste de sondage divisionnaire ne sont pas toujours suffisants.

 

Il importe que chaque ouvrage ait les moyens de les compléter en mesurant la température au sol, la direction et la vitesse du vent, du sol jusqu'à 500 mètres, la pression barométrique. L'étude suivie de ces éléments par les officiers d'artillerie de l'ouvrage leur permet d'ailleurs de se passer de poste de sondage s'il vient à disparaître.

 

 

33 -) Implantation des organes de feu et d'observation.

 

Nous avons vu comment les cloches G.F.M, étaient implantées trop bas pour pouvoir remplir leur mission dès que le terrain est bouleversé par de gros entonnoirs.

 

Il est donc nécessaire d'implanter tous les organes assez haut pour que l'observation et le tir tendu puissent s'effectuer facilement en tout temps.

 

Il faut prendre des précautions analogues en ce qui concerne les organes de tir courbe : c'est ainsi que la tourelle de 81 avait été implantée au fond d'une cuvette sous prétexte de défilement ; elle n'y était d'ailleurs à l'abri d'aucun projectile usuel ; le résultat a été qu'elle a été complètement enterrée sous 0 m 40 à 0 m 50 de terre et qu'il a fallu la dégager par l'extérieur à plusieurs reprises; cette terre a d'ailleurs envahi les tubes et leurs mécaniques, entraînant une longue indisponibilité (voir plus haut ).

 

Il est à remarquer que l'on a, en général, par tendance à implanter trop haut aucune construction civile ou militaire; c'est que l'on ne tient jamais- assez compte de l'importance des déblais qui viendront s'amonceler autour d'elle.

 

Il ne faut pas craindre de donner du commandement à tous les organes et, au moment de régaler les terres, d'enlever les excédents de déblais qui pourraient menacer un créneau.

 

34 -) Nécessité d'organes de D.C.A.

 

Les ouvrages ne possédaient aucun organe de défense contre avions.

On a tiré sur les avions avec les tourelles de 75 (barrages), les jumelages de mitrailleuses sous béton ou avec des armes sur affût de circonstance placées à l'extérieur.

 

Les barrages exécutés par les tourelles ne pouvaient l'être qu'à basse altitude (angle au niveau inférieur à 35°) et sans précision faute d'appareils permettant une observation précise des avions.

 

Le tir des armes sous béton était sans valeur puisqu'on ne pouvait à la, fois voir l'avion et tirer, en raison du faible champ des lunettes de pointage.

 

Aussi, les avions pouvaient-ils manœuvrer comme à l'exercice.

 

On pourrait adapter aux armes de forteresse des appareils  permettant de tirer avec précision sur les avions (correcteurs, télémètres). On pourrait aussi installer des tourelles de mitrailleuses ou de 75 présentant un grand champ de tir en hauteur. Toutefois, la meilleure défense consisterait en avions et armes extérieures mobiles placées à l'air libre. Cette question est à étudier de près afin de ne pas laisser les ouvrages sans aucune défense antiaérienne aussitôt qu'ils sont abandonnés à leurs seuls moyens.

 

 

35 -) Armes modernes

 

Il y aurait lieu d'étudier dans une fortification moderne les questions ci-après, ou tout autres du même genre :

 

a) défense rapprochée par lance-flammes à grande puissance,

b) camouflage par appareils émetteurs de fumée,

c) émission de gaz ou de produits toxiques,

d) détection des avions par la mine,

e) Liaisons par rayons infrarouges ou pas ondes courtes.

 

D'une façon générale, on a intérêt à mettre sous béton tous les organes de combat modernes et coûteux qui peuvent être proposés par des inventeurs et qui se révèlent efficaces.

 

 

CHAPITRE IV - CONCLUSIONS.

 

L'art de la fortification est vieux comme le monde ; il a fait partie le toutes les civilisations ; il est à présumer qu'il continuera à se manifester tant qu'il y aura des hommes. Il est art et, en tant que tel, sujet à des critiques ; ces critiques visent son utilité ou ses manifestations. Il est certain que l'absence ou l'excès de fortifications sont de graves défauts pour un Etat ; elle est un élément important, nais non unique de leur système de défense.

 

La fortification repose sur des principes simples, mais ses réalisations doivent se tenir au courant des progrès de la technique de la guerre.

 

On peut imaginer que l'aménagement technique de la fortification de l'avenir dérivera de ceux de la Ligne Maginot ; comme, celle-ci dérive des forts de 1885.

Cette ligne a été l'œuvre d'une génération qui avait été frappée par l'ampleur et la force des vagues d'assaut d'infanterie, ainsi que par la puissance du tir de la mitrailleuse ; aussi l'a-t-on constituée essentiellement d'un barrage de feux d'infanterie servi par des moyens techniques auxiliaires puissants (éclairage, force motrice, ventilation, transports, etc...). La guerre de 1914-18 ayant également montré la puissance des grosses masses d'artillerie, on cherche dans la fortification française à abriter le personnel dans des locaux tranquilles,

 

La guerre actuelle nous montre la puissance des masses d'autos blindées et d'avions ; il faudra en tenir compte dans l'élaboration de la fortification de l'avenir sans oublier les enseignements des guerres précédentes. Il ne faut pas oublier que la ligne française a été attaquée à certains endroits par de simples vagues d'infanterie appuyées par des avions (Oberroedern, Verrerie, ailleurs sans doute).

 

A Oberroedern, l'attaque a été repoussée de justesse par les éléments sous béton ; à la Verrerie, l'attaque a réussi, faute de troupes d'intervalle pour colmater la brèche. Ceci montre que cette ligne, conçue pour la défense contre l'infanterie, devenait vulnérable à cette même infanterie lorsque celle-ci était aidée par quelques moyens extérieurs et surtout lorsque la ligne était démunie de troupes extérieures mobiles. Il faut en effet noter quel dans les deux cas, les troupes de forteresse avaient été diminuées de toute leur artillerie extérieure et de la majeure partie de l'infanterie extérieure qui s'étaient repliées le 13 Juin avec la 5e Armée. On voit là un exemple de la nécessité de la collaboration du béton et des troupes mobiles.

 

La continuation de cette guerre nous réservera peut être de nouvelles surprises techniques ; toutefois il sera utile de méditer l'expérience de l'ouvrage de Schoenenbourg lorsqu'on élaborera une nouvelle fortification.

 

Cette expérience est favorable à la conception technique et tactique de la fortification française puisqu'elle lui a permis de résister aux moyens mis en œuvre par l'ennemi.

 

D'un point de vue philosophique, il est à regretter que cette expérience ait été incomplète d'une part parce que les troupes de forteresse françaises étaient tronquées de leurs éléments mobiles, donc déséquilibrées, d'autre part parce qu'elle a été interrompue par l'armistice du 25 Juin 1940.

 

Il est à souhaiter que les constatations et réflexions précédentes contribuent à aider l'évolution de l'art de la forteresse et de la technique de sa construction.

 

Juillet 1941.