Hommes





Témoignage de M. Jacques LOEHR

Affecté au PC principal du Schoenenbourg en 1939/40

 

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LIGNE MAGINOT

22° R.I.F. - 2° C.E.O. - Élément A

 

La situation à l'ouvrage de SCHOENENBOURG en juin 1940.

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40 ans sont pratiquement passés depuis les combats dans la Ligne Maginot de juin1940. Cependant le souvenir de cette période tragique reste vivant dans la mémoire des anciens.

 

Durant plusieurs jours, l'ouvrage de Schoenenbourg avait été la cible des avions de bombardement et de l'artillerie lourde de l'ennemi. Malgré ces attaques massives et combinées et les gros moyens mis en œuvre, l'ouvrage a tenu.

 

Le mercredi 19 juin 1940 à 20 h, premier bombardement par 30 gros avions allemands. Le jeudi 20 juin, trois bombardements successifs -matin-midi-soir. Des torpilles à très gros calibre (probablement de 1.800 kg.) sont lancées sur l'ouvrage. Mêmes attaques répétées le vendredi 21 juin, toujours des bombes à gros calibre. Ce même jour, des bombardements par l'artillerie lourde  qui tire des obus de 42 cm. Le samedi 22 juin et le dimanche 23 juin 1940, le tir de harcèlement par des obus de 1000 kg, du calibre 42 cm, continue pendant toute la journée.

 

Le bruit est infernal dans les galeries de l'ouvrage, mais n'a nullement ébranlé le moral des équipages qui n'ont subi que la perte d'un seul homme, tué à son poste de guetteur au bloc 5.

 

Soudain, le lundi, 24 juin, plus rien, pas de tirs, pas de bombardements, c'est le silence complet et insolite. Tout le monde reste cependant en alerte, la radio est écoutée, mais à 300 km aux alentours, aucun officier-général ne répond plus aux appels radio de l'ouvrage. Enfin le soir, un communiqué du gouvernement français annonce la signature de l'Armistice qui entre en vigueur à 18 h. 35. Elle devient effective le mardi 25 juin 1940 à 0 h 35.

 

Dès que la nouvelle de l'Armistice est connue, tout le monde pousse un grand ouf de soulagement ; c'est terminé, nous avons perdu la drôle de guerre. Néanmoins, les dispositions de combat sont maintenues et la vigilance est de rigueur à tous les échelons. (Notons pour mémoire, que ce jour, 24 juin à 20 h 05, le chef de la tourelle du bloc 2 demande l'autorisation de tir de 10.000 coups pour combattre une unité allemande qui marche en formation dans la direction nord-est, donc se replie en bon ordre. L'autorisation de tir est immédiatement refusée par l'adjudant-secrétaire du P.C.I. à ce moment seul de service ; tous les officiers étaient réunis au mess autour du commandant de l'ouvrage.

 

Après les durs combats de ces derniers jours, c'est presque la vie de garnison qui reprend à l'intérieur et au casernement de l'ouvrage, qui pourtant reste en relation par téléphone avec les autres ouvrages et positions du secteur.

 

La première visite sur les dessus de l'ouvrage est vraiment impressionnante. Partout des entonnoirs et impacts laissés par les torpilles et les gros obus. Des grenades de tous calibres et un obus de 42 cm non explosés traînent aux abords des tourelles. Il est recommandé de ne pas toucher ces engins dont le service de déminage devait s'occuper ultérieurement.

 

Après la bataille, tout le monde s'interroge sur l'avenir et personne ne sait rien de précis. Des on-dit circulent, les uns plus invraisemblables que les autres. On attend les ordres du commandement supérieur de l'Armée, replié quelque part dans le sud-ouest de la France.

Un certain jour, une délégation d'officiers allemands doit visiter l'ouvrage et prendre contact avec le commandant Reynier. Plus tard, on nous informe que l'ennemi exige que tout l'armement soit entretenu et laissé en place et l'ouvrage paré comme pour le combat. Les experts militaires allemands essaient de comprendre pourquoi la Ligne Maginot avait héroïquement combattu jusqu'à la fin et était restée imprenable.

 

L'ouvrage de Schoenenbourg, non hors de combat comme l'avait annoncé le traître Ferdonnet à la radio de Stuttgart, disposait toujours :

 

- d'un équipage discipliné, valide et au complet, dont un certain nombre d'officiers se refusaient d'admettre la défaite,

- d'un armement intact et valable,

- d'un grand stock de munitions, aussi bien pour l'artillerie que pour les armes d'infanterie,

- d'une centrale électrique en parfait état de fonctionnement,

- d'un important stock de vivres pour au moins 2 mois,

- etc, etc.

Notons que dès l'armistice, les dossiers, plans et documentations de l'ouvrage ont été brûlés.

 

Ainsi les jours passaient sans se ressembler et après une semaine d'attente, le samedi 29 juin, arriva l'ordre écrit du général d'Armée Huntzinger, nous imposant d'évacuer la position. Les équipages doivent être internés, sans avoir été fait prisonniers.

D'accord avec l'occupant allemand, le départ de l'ouvrage était fixé au lundi 1er juillet 1940, à 8 h du matin. La colonne de marche devait se rendre à pied à Haguenau.

 

Donc, ce 1er juillet 1940, à 5 h. du matin, l'adjudant-secrétaire du P.C. procédait à l'établissement de sa dernière situation de prise d'armes, qui faisait ressortir un équipage total de 183 hommes, à savoir :

 

Infanterie :

6 officiers, (dont 1 aspirant), 3 adjudants-chefs, 1 adjudant, 5 sergents-chefs, 6 sergents, 29 caporaux et 85 hommes,

Total: 135 hommes.

 

Service de santé et services généraux :

2 officiers, 3 adjudants, 4 sergents-chefs,

2 sergents, 7 caporaux et 30 hommes,

Total: 48 hommes.

 

Ces chiffres ne tiennent pas compte des effectifs de l'artillerie et du génie, qui relevaient de leurs commandants d'unité. L'équipage total de l'ouvrage était d'environ 600 hommes.

Mais tous ces effectifs ne quittaient pas l'ouvrage en même temps. Une section de garde et de sécurité sous les ordres du capitaine Etienne Kieffer, alias Capitaine " Patrice", était maintenue provisoirement à l'ouvrage.

La colonne de marche, renforcée entre temps par d'autres unités du secteur, comptait environ 5000 hommes, arrivait à destination au début de l'après-midi. A Haguenau, le quartier Aimé était aménagé en camp d'internement pour les sous-officiers et les hommes de troupe, tandis que le corps des officiers était dirigé sur la caserne du 309° Régiment d'Artillerie.

 

Au camp le régime était sévère. Le ravitaillement faisait défaut les 5 premiers jours. La garde était assurée par des unités S.S. (à confirmer ?)

 

A partir du 12 juillet 1940, la libération des internés originaires d'Alsace-Lorraine, était commencée. Pour les camarades, originaires des autres départements, la longue détention commençait. Leur statut d'internés était remplacé par celui de prisonnier de guerre. Quelques jours après la libération des Alsaciens, ces prisonniers étaient transférés en Allemagne.

 

Jacques Loehr - 1980




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