Témoignage du lieutenant Joseph MATHES
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PETITE CHRONIQUE ET SOUVENIRS DU CORPS FRANC
DE L'OUVRAGE DE SCHOENENBOURG
4 août 1939 : Un flot
continu de réservistes défile à l'entrée. Au magasin d'habillement c'est
l'effervescence. Les soldats ont peine à caser leurs effets dans les chambres
respectives.
1er septembre : Nous
assistons, stupéfaits, depuis les dessous avant, à la procession des voitures
attelées de vaches ou de chevaux, entourées de vieillards, de femmes et d'enfants,
qui refluent en direction de Soultz-sous-Forêts. Quel
tableau poignant !
2 septembre : Une
section de l'Infanterie participe à la présentation du drapeau du 22e R.I.F. à Memmelshoffen. On s'y rend en essayant de se camoufler
contre d'éventuels avions. Premier et difficile exercice de camouflage, sous
une pluie fine.
3 septembre : Dans
les PC on suit avec émotion les nouvelles communiquées par radio. Nous
apprenons la déclaration de la guerre.
8 septembre: Des
avions au-dessus de l'ouvrage! C'est la grande sensation !
Les guetteurs des
cloches avant sont sur la brèche.
9 septembre : Le 3e
Tirailleurs Algériens exécute un coup de main sur Schweigen
(viilage allemand proche de la frontière). On a
l'impression que les événements vont se précipiter. Chaque jour nous assistons,
depuis les blocs avant, au spectacle lamentable des soldats de l'arrière qui
essaient de ramener vaches et taureaux qui sont restés dans les étables, après
évacuation des habitants. Pour bien des vaches et des taureaux c'est l'heure de
la liberté et ils faussent compagnie à leurs gardiens maladroits.
21 septembre :
Dorénavant, nos équipages iront «s'aérer» 8 jours durant au camp d'Oberhoffen. Un premier groupe de 30 hommes quitte le Schoenenbourg. Rien n'est prévu au camp ! Il est difficile
de retenir les réservistes qui profitent de l'aubaine pour rejoindre, la nuit,
leurs proches familles.
28 septembre :
Plusieurs obus allemands sur le village de Cléebourg.
11 octobre : Une
équipe s'en va à Ingolsheim pour clouer les portes et
fenêtres et empêcher le pillage. Spectacle lamentable que les armoires et
meubles ouverts et les effets gisant pêle-mêle par terre. Une équipe de soldats
originaires du village même distille à longueur de journée, sous le
commandement de l'adjoint au maire, quetsches et mirabelles stockées par les
habitants. L'eau de vie sera achetée par l'Ouvrage et entreposée à
l'infirmerie.
17-24 octobre : Nous assistons, depuis l'ouvrage, au bombardement
ennemi du Schafbusch et d'Oberseebach.
Novembre : Nos
tireurs de FM font mouche sur des vaches et de veaux à l'abandon qui se sont égarés dans les barbelés ! Et l'on rôtit, en cachette,
à la broche, en contrebas, derrière les tourelles d'artillerie, maint bétail.
L'officier de ronde ferme l'oeil, et le festin
improvisé crée quelque distraction...
Décembre : Enfin les
permissions sont accordées ! A l'ouvrage c'est la promenade continue des
officiers des divisions de passage, la 36e, la 43e, ... qui viennent faire la
connaissance du béton ! Il fait -20° à l'extérieur!
Je rencontre, au
cours d'une ronde dans le bois, au-dessus de l'ouvrage, des troupes
d'intervalle qui lavent leur linge dans un ruisselet bien clair ! Un ruisselet
dont j'ignorais l'existence et qui se révèle être la sortie de l'égout de l'ouvrage.
Mis au courant, nos Robins des Bois ne laveront plus leur linge «à la claire
fontaine» !...
24 décembre :
Réveillon au Bloc 7 avec musique, choeurs, sapin et
cadeaux. Véritable fête de famille! Les organisateurs, dont le caporal SCHRAMM
de Schoenenbourg, ont empilé toutes les richesses
gastronomiques dont les magasins de Haguenau
regorgeaient. Messe de minuit au Bloc 4. On chante le «Stille
Nacht» et l'on songe aux familles qui sont au loin.
1er janvier 1940 : A
minuit les officiers font irruption dans la chambre du commandant REYNIER. On
fête le Nouvel-An dans la joie, espérant que la guerre sera bientôt gagnée!
1er février : Dix
hommes montent au camp de Drachenbronn pour essayer
au stand de tir extérieur les nouvelles munitions FM (on craint les sabotages
au niveau de la fabrication)! Il fait froid et le verglas règne. Les capotes
des hommes sont devenues de véritables cuirasses!
3 mars : Des avions
ennemis nous survolent en masse. On déplore l'absence totale de DCA. Nous
apprenons par la radio qu'un coup de main a été effectué sur la Lauter... nous
n'en savions rien.
4 mars : Quelques
obus allemands sur Altenstadt et Wissembourg. Des
fusants sur tout le front. On se demande ce que les Allemands vont faire ...On
a l'impression que le front se réveille.
7 mars : Le général
commandant le Secteur Fortifié de Haguenau vient s'enquérir des relations entre
les troupes de l'active et les réservistes... Chez nous point de problème !
15 avril : Les tirs
ennemis se font toujours plus nombreux. Les Allemands bombardent la Hasselmuhle, le Oberwald,
Hunspach. Nous répliquons par des tirs nourris sur le
Bienwald.
Nous sommes la cible
de l'artillerie allemande. Une fiévreuse activité règne au PC.
Mai: la relève se
fera dorénavant dans les casernements neufs aux abords des blocs arrière. On y
couche pour huit jours. Le jour on rentre participer à l'activité de l'ouvrage.
10 mai : Dans la
soirée, arrivée de 3 sections de
12 mai : Alerte
continue déclenchée à l'ouvrage. Aux avants on continue à planter de nouveaux
rails pour parfaire l'enceinte anti-char!
14 mai : Directives
concernant l'espionnage dans les ouvrages... L'ennemi nous bombarde avec du 77
et du 105.
15 mai : Du 280 tombe entre le Bloc 1 et le Bloc 4.
16 mai: Constitution
du Corps-Franc : des hommes équipés d'uniformes spéciaux et armés de revolvers
à barillet, grenades à main, poignards et FM. Ils installent leurs lits au
garage avant près du PCO. L'essai du nouvel armement et l'initiation au tir au
révolver se feront dans les vergers de l'Oberhof où
les cerisiers fournissent de magnifiques
cibles.
19 mai: Le Geisberg flambe.
20 mai : Dans la
soirée arrivent 3 chars FT. Ils sont garés au Bloc 7, derrière la grille et
sont destinés à collaborer avec le Corps-franc. Ils seront retirés dès la
rupture du front Nord.
26 mai : Premier tué
à l'ouvrage: le soldat DEVAUX, guetteur au bloc 5. Un obus allemand frappe de
plein fouet le périscope de la cloche de guetteur.
31 mai : Les arrières
de l'ouvrage sont bombardés. Le ravitaillement devient pénible.
4 juin : Pendant un
tir, une pièce de 120, installée sur les avants, éclate. Un mort (le canonnier
DERENDINGER de Hunspach) et 8 blessés. C'est la
consternation parmi l'équipage.
10 juin : Le Corps-franc
creuse un poste d'observation près du village d'Ingolsheim
pour porter plus en avant une antenne de surveillance, vu le départ des troupes
d'intervalle. Il est témoin entre minuit et 2 h du matin, d'un vrai feu
d'artifice sur la Lauter: les Allemands fêtent, à leur façon, l'entrée en
guerre de Mussolini. Notre artillerie d'intervalle, depuis Lobsann
jusqu'à Rittershoffen, répond par un feu continu. Le
lendemain, toute l'artillerie de campagne est retirée vers l'arrière.
14 au 24 juin : L'ouvrage
de Schoenenbourg est touché par environ:
50 bombes de fort
calibre (de 1000 à
120 bombes de moyen calibre (jusqu'à
40 projectiles de
20 projectiles de
gros calibre (de 210 à
5000 coups de 150 et
de 105.
Quant à l'artillerie
de l'ouvrage, elle aura lâché durant cette période près de 9800 obus, sans
oublier la tourelle du bloc 2 ou les jumelages de mitrailleuses des blocs
d'infanterie qui appuyèrent de leurs feux les casemates voisines ou firent du
tir de DCA. Les équipages des blocs 1 et 6
n'hésiteront pas à sortir pour faire de la DCA avec les FM montés sur piquet
contre les Stukas qui passent en rase-motte. Le Sergent WALLIOR de Seltz ainsi
que plusieurs camarades sont blessés.
25 au 30 juin : Ce
sera le «grand nettoyage! On se débarrasse de surplus de vêtements, des
archives etc.., en comblant le cratère de bombe du Bloc 7 et en les allumant...
On consomme les volailles du casernement et les stocks de boissons. Et l'on
remplit sa valise en attendant le départ qui est fixé au 1er juillet à 9 heures
du matin. Nous profitons de l'accalmie pour rendre visite aux camarades des
casemates extérieures que nous avions appuyés de nos feux (témoignage sans doute un peu subjectif quand on sait que les casemates
à l'Est du fort - Ingolsheim et Hunspach
– sont invisibles depuis les blocs de combat et celles à l'ouest - le couple du Breitenacker
– n'ont jamais été attaquées).
Le Commandant
autorise des sorties à plusieurs avec consigne stricte de ne pas s'écarter du
réseau de rail qui nous sert d'itinéraire.
1 er juillet: Le commandant
nous passe en revue. Au carrefour Sud de Schoenenbourg
nous déposons nos armes individuelles. Dans les villages que nous traversons,
les habitants apportent des seaux d'eau fraîche. Il fait une chaleur torride et
nos hommes, épuisés, tombent le long de la route et sont chargés sur des
voitures allemandes.
A 5 heures du soir
nous arrivons à Haguenau. Les officiers sont emmenés à la caserne du 12e R.A.
et les hommes et sous-officiers au Quartier Aimé. Nous apprenons que le colonel
SCHWARTZ est logé avec son état-major dans une villa privée. Il nous rendra
visite par la suite pour nous remonter le moral.
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