Les hommes de l'ouvrage de Schoenenbourg
Le Chef de Bataillon REYNIER
Commandant l'ouvrage de SCHOENENBOURG en 1939/1940
D'après une étude du
19/5/1984 réalisée par le colonel Stroh, commandant du génie de l'ouvrage de
Schoenenbourg en 1940.
Etude dédiée à ceux de l'AALMA :
"Ils ont témoigné de leur courage et de leur persévérance pour ouvrir l'ouvrage aux visites et pour y accueillir les curieux de notre passé."
Pierre STROH
Le
Chef de Bataillon REYNIER
Nous avions fait la connaissance du Commandant Reynier lors de l'alerte
des Sudètes en septembre 1938 - celle qui se termina par les conversations de
Munich -. De taille moyenne, un peu replet comme il arrive à la quarantaine,
d'une robuste santé, il alliait un comportement paisible à la faculté de réagir
promptement aux circonstances. Ancien officier des sports du régiment, toujours
en mouvement, grand chasseur et membre de la société de Chasse de Bremmelbach,
près du camp de Drachenbronn, il était familier des gens et des lieux de
l'arrondissement de Wissembourg à
Il était pour nous "
le commandant ".
Son prénom, Martial, est fréquent en Limousin où son père était boucher; ceux qui connaissent la vie des villages n'ont pas de difficulté à imaginer à travers Martial Reynier, son père sachant acheter les bêtes à la satisfaction des éleveurs sans donner plus que le juste prix et les débiter selon les goûts de chaque cliente, sans jamais conserver d'invendus; il y faut de la précision, de la justice et de la tête, avec le mot aimable. Certains pensent qu'il faut diviser pour régner; le commandant, lui, avait un art qu'il a su développer chez les officiers de l'ouvrage, de dire et de faire ce qu'il fallait pour que les hommes s'entendent entre eux et forment un équipage.
Il faut aussi consacrer un paragraphe à son chien, un basset qui portait le nom de Deir-ez-zor (prononcez Dérézor), dernière garnison avant Drachenbronn. Aussi affairé que son maître, il était favorablement connu dans tout l'ouvrage dont il était un personnage; il avait sa part dans l'affection et l'estime que vouait l'équipage à son chef.
A l'effectif d'environ 500 au total, nous portions l'écusson d'une des trois armes, infanterie (pattes de collet avec chiffre 22 sur fond kaki) ou artillerie (155 sur drap rouge, 156ème à la mobilisation) ou génie (1 ou 15 ou 18 ou grenade sur velours noir). Nous étions tous administrés et nourris par la 2ème Compagnie d'Equipage d'Ouvrage (CEO) du 22ème Régiment d'Infanterie de Forteresse. Le commandant de compagnie était le capitaine Gros, major d'ouvrage.
L'encadrement était solide, mais nous avions à faire connaissance les
uns des autres; le commandant s'employait à créer un esprit commun en sachant
parler à chacun et en faisant en sorte que nous nous abordions entre nous avec
naturel, comme au village.
- Le renseignement -
Grâce aux moyens officiellement prévus (observatoires, téléphone,
radio), un ouvrage n'est pas aveugle, mais il est borgne, il a une vue schématique
des faits, à condition qu'il se passe quelque chose de concret; nous ne
pouvions de cette façon être informés de l'ambiance, du moral des voisins,
beaucoup ne savaient même pas le temps qu'il faisait.
Le commandant considérait le renseignement comme résultant d'une
circulation intense de nouvelles, à laquelle chacun collaborait en sachant que
c'était nécessaire à la mission commune; il tenait à recouper les
informations; c'est ainsi qu'il autorisait les frontaliers à aller de temps à
autre visiter leurs maisons abandonnées et souvent pillées. Les nouvelles
qu'ils rapportaient étaient fréquemment déprimantes, il valait mieux les
connaître. C'est ainsi encore que les actionnaires de la chasse venaient
converser avec le commandant sur les tapis d'Orient de sa chambre; parce qu'il
était l'un des leurs et que bien que ne parlant pas l'alsacien, il était
considéré comme un enfant du terroir; et les "vachers" du
casernement extérieur avaient sa visite lorsqu'il revenait de la cueillette des
champignons et des pissenlits, suivi du fidèle Deir-ez-Zor.
Ceux des officiers qui, comme lui, allaient se promener aux alentours faisaient causette et tour d'horizon avec les amis des troupes d'intervalle et le petit corps franc, qui,, outre son activité de défense et de patrouille sous les ordres du sous-lieutenant Mathès, instituteur à Altenstadt, rapportait des nouvelles de l'extérieur, un peu d'air frais dans les esprits et parfois un quartier de vache abandonnée, tuée au passage au profit de l'équipage. Tout cela brassait les idées, dans notre vie solitaire, sédentaire, réglée par les tours de veille et de repos. Nous n'avions en effet aucune occasion de nous rassembler; c'est exceptionnel dans la vie militaire.
L'organisation imaginée pour la position fortifiée par les états-majors ne pouvait être un sujet de satisfaction pour un commandant d'ouvrage, voici pourquoi :
Depuis des années, la
forteresse assurait une mission de couverture de la mobilisation et nous étions
rodés à notre tâche dans le Secteur Fortifié de Haguenau et de son état-major.
Ceci ne dura pas, la ligne de défense fut dotée d'une organisation compliquée.
Lorsque la mobilisation fut terminée, au début d'octobre 1939, le secteur
fortifié fut dissout et la position fortifiée fut découpée en sous-secteurs
attribués chacun à une division.
Dans la région de la Lauter, l'autorité équivalente au SFH fut le 12ème Corps d'Armée comprenant plusieurs divisions de campagne occupant chacune un sous-secteur et se relevant de temps à autre selon le principe de la "noria"; à chaque relève survenait une réorganisation, les états-majors de ces divisions prenaient des initiatives parfois turbulentes et incompatibles avec nos plans de feux étudiés douze ans plus tôt et matérialisés par les "bétons". Distinguons bien ces troupes de campagne, des troupes d'intervalles organiques des Régiments de Forteresse. Notre esprit s'accordait mal avec celui des états-majors des divisions et des unités de campagne cantonnées dans les villages voisins; leurs officiers nous paraissaient futiles quand ils venaient nous visiter car ils s'intéressaient surtout au petit train.
Les artilleurs de la forteresse sauvegardèrent leur organisation propre sous le nom de G.F.A.L. (Groupe d'Artillerie de Forteresse de la Lauter) au risque de compromettre les liaisons de commandement. Il est vrai que la popote des officiers de l'ouvrage, petit local où nous mangions en deux services (pièce à côté du S.R.A) et où nous nous défoulions entre nous, continuait à jouer un rôle essentiel pour maintenir l'esprit de l'ouvrage; la buvette et l'ordinaire concouraient au même but. La confiance réciproque de tous les instants était nécessaire à tous les grades car les mêmes blocs réunissaient les guetteurs-fusiliers mitrailleurs de l'infanterie et les servants de tourelle d'artillerie; ce simple fait n'avait jamais été vécu par les états-majors.
De toute façon, ce genre de problème disparut le 13 juin 1940 avec le repli du 12ème C.A. qui, sur des instructions venues du G.Q.G., constitua une division de marche avec des éléments des troupes d'intervalle (surchargés d'armes et sans moyens de transport). Le Lt-colonel Schwartz, commandant des troupes restées sur place, ressortit l'organigramme du Secteur Fortifié de Haguenau, devenu squelettique avec 6000 hommes au lieu des 23000 qu'il comptait le 24 Août 1939. Si curieux que cela puisse paraître, nous fûmes soulagés de savoir que nous n'avions à compter que sur nous mêmes.
De ce côté, pas de souci! L'ouvrage n'avait aucun moyen organique; le motard estafette et le camion de ravitaillement venaient de Lobsann où était implanté le P.C du 22ème R.I.F. Jusqu'à ce qu'il nous fût retiré, le side-car venant du service électromécanique du temps de paix remplît son rôle de ravitaillement en pièces de rechange. Quand nous avions besoin d'un transport, il fallait l'obtenir de l'extérieur, des unités de l'arrière dont nous dépendions. Le système n'est pas sot car il nous obligeait à cultiver nos relations avec les camarades des unités voisines et des services, voici pourquoi il faut une bonne popote! A l'instar du commandant, nous savions accueillir et recevoir.
Il faut encore noter que les ravitaillements en munitions depuis l'arrière jusqu'au bloc 7 se faisaient sur initiative extérieure par la route. La voie de 60, antenne du réseau venant de Neubourg, a été construite durant l'hiver et ouverte en mars ou avril 1940. Dans mon souvenir, le seul transport qu'elle ait assuré à servi a la vérification et à la recette de la voie.
Pour illustrer d'un cas concret son mode d'action, exposons les événements ci-après, en plusieurs épisodes centrés sur le tir du 22 juin sur Diffenbacherhof:
Il faut considérer que le bloc 5 (tourelle de 81) avait été le plus malheureux de tous.
A cette date :
- un guetteur avait été tué dans la cloche par un obus allemand venu éclater devant l'épiscope du créneau,
- les canonniers désignés pour servir une pièce de 120 long placée sur les dessus l'avaient vu exploser (1 mort, des blessés).
Donc, le 21 juin avant midi,
une trentaine de stukas ont lancé des bombes parmi lesquelles un projectile de
Le soir même, par un heureux hasard de la guerre, une nouvelle vague de stukas a posé une nouvelle bombe sur le bloc même ce qui eut pour effet de nous éviter le pelletage nocturne en dispersant les déblais et en nettoyant le dessus du béton du bloc 5. La tourelle put aussitôt se remettre en batterie, mais elle n'était pas pour cela en état de tirer; il fallait évacuer la poussière qui avait pénétré dans l'avant-cuirasse et de là dans les locaux. Il fallut démonter et nettoyer les fins mécanismes des pièces de 81 engorgées de cette poudre tenue, ce fut le travail des sous-officiers électromécaniciens aidés des canonniers jusqu'au lendemain soir.
Nous découvrîmes ainsi que les 20 coups de 81 avaient fait mouche sur une patrouille à laquelle Meyer avait donné cette ferme comme point de ralliement.
Le flair de vieux baroudeur
du commandant lui avait fait sentir où se trouvait l'ennemi, de sa chambre, à
De
juillet 1940 à 1956
Le 1er juillet 1940, le gros des équipages du Secteur Fortifié partit par la route pour la caserne Aymé à Haguenau. Au Schoenenbourg nous restâmes 42 y compris le commandant pour introduire les Allemands avec rage et chagrin, dans une forteresse qui avait été le but de notre existence durant ces derniers mois.
Ces allemands, persuadés que
l'Angleterre serait rapidement soumise, nous laissaient penser que nous
rentrions bientôt dans nos foyers. Bien au contraire. En août 1940, consternés
et indignés, une vingtaine d'officiers du S.F.H. furent hébergés par le grand
Reich à la baraque 102 de l'immense camp d'officiers français de Nuremberg; le
commandant Reynier était à la baraque 104 et nous conversâmes fréquemment
avec lui l'hiver suivant.
Il était persuadé qu'il passerait au Conseil de Guerre après son rapatriement; dans un état organisé, un tel tribunal est en effet la ressource inéluctable et amère d'un commandant malheureux, responsable d'une flotte, d'un navire ou d'une forteresse.
Il n'eut pas cette triste consolation d'avoir à comparaître devant des juges impartiaux cherchant à mettre en évidence les causes et les circonstances des événements tragiques. Depuis 1945, les autorités se sont désintéressées de ceux qui avaient fait leur devoir en 1940.
Après la guerre, combien d'auteurs, se contentant d'informations vagues et partielles, ont raillé la ligne Maginot, s'étendant sur son inutilité et la rendant responsable de nos désastres sans chercher à comprendre le rôle qu'elle a tenu et celui qu'elle aurait pu tenir si elle avait été utilisée avec sagacité! Ils n'ont pas eu la moindre pensée pour ses équipages; pourtant ceux-ci n'ont démérité à aucun moment devant l'ennemi.
Le 14 juin 1940, à l'inspection du Lt/col. Schwartz, nous avons transgressé les ordres venus du G.Q.G en nous préparant au combat au lieu d'envisager de nous saborder; combien d'autres se sont classés résistants pour avoir adopté la même attitude!
Le chef de Bataillon Reynier qui, en d'autres temps serait devenu un héros national, s'est éteint en 1956 à Epinal où il s'était retiré avec madame Reynier en rentrant de captivité.
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