LES GROUPES ELECTROGENES DES
OUVRAGES AUTOUR DE BITCHE
La
maintenance des années d’après-guerre
Le rôle des groupes électrogènes dans la Ligne Maginot et leur description technique ont été largement mentionnés dans de nombreuses publications. Mais leur devenir, après la guerre, n’a fait l’objet que de peu d’études. C’est pour cela que nous allons, à l’aide des carnets de marche, essayer d’en savoir un peu plus sur la façon dont s’est faite leur maintenance, et finalement leur abandon. Mais que savons-nous de la maintenance des ouvrages après la guerre ? Peu de choses en réalité. Alors tâchons, avant d’entrer dans le vif du sujet, de donner un petit aperçu de ce qui s’est passé dans le secteur de Bitche.
En 1957, l’adjudant-chef Pouey procède à un essai de durée d’ampoules électriques ADES, mais elles ne tiennent que 710 heures, et perdent donc 25% de leur durée de vie théorique car la tension du réseau électrique du Schiesseck varie autour de 470 à 480 volts, au lieu de 440.
Puis le technicien Allendorf fait le relevé des manomètres de surpression de l’ouvrage, il en manque 15 au total.
Tous
ces lits seront repeints en juillet 1960, de même que les plafonds métalliques
des blocs et des entrées, tout comme la totalité des murs de l’usine, de la
salle des filtres et de l’alvéole haute tension, les monorails des blocs 7 et
8, des locaux de tourelles. De manière générale, tous les ouvrages et abris
du secteur de Bitche seront repeints de fond en comble à cette époque.
On
connaît aussi quelques déboires, notamment la perte, par l’ouvrier Closs, de
sa pince multiprise qui est tombée dans le puits de l’abri du Légeret lors
d’une réparation sur la pompe.
En
1962, quatre monte-charges du Schiesseck sont eux aussi grattés et repeints.
Tout cela est alors consigné dans le cahier de liaison par Joseph Allendorf,
qui est employé civil, responsable d’une équipe d’entretien du secteur
Bitche ouest. 26 techniciens civils travaillent pour le compte de
l’Arrondissement des Travaux du Génie de Bitche, ils sont pour moitié électriciens-monteurs
ou ajusteurs, plus un menuisier, et bien entendu encadrés par un certain nombre
de militaires.
L’équipe de maintenance du Schiesseck est composée de 12 sapeurs mineurs, mais cet effectif peut monter à 18 lors des grosses campagnes de peinture, d’où le bon état de conservation des ouvrages de ce secteur, même de nos jours. Quel contraste avec l’équipe de maintenance du Hochwald qui est moitié moins importante, et qui s’occupe pourtant d’un ouvrage plus important que le Schiesseck.
Tous
ces sapeurs mineurs sont occupés à des travaux de surveillance des
installations électromécaniques, à des travaux de peinture, de nettoyage des
locaux et galeries, des travaux d’atelier et même de plantation d’arbres.
Mais sur la douzaine de sapeurs, un certain nombre est ponctuellement en
permission, en instruction militaire ou en nomadisation à Metz.
Ils ne s’occupent d’ailleurs pas que du Schiesseck, mais également des abris du Freundenberg, de Reyerswiller et du Légeret. De temps à autre, il faut en déléguer un ou deux au gros ouvrage du Grand Hohekirkel, lors de gros travaux de nettoyage.
Joseph
Allendorf est embauché comme électricien-monteur, il est classé dans le
groupe professionnel 6 qui en comprend huit au total. Il est payé 3,50 francs
de l’heure (on vient de passer aux francs dits «lourds», en 1961) et bénéficie
d’une prime pour fonction de chef d’équipe de 0,5020 f/h. Les salaires
horaires de cette catégorie d’ouvriers sont de 2,6760 francs en début de
carrière et de 4,4685 francs en fin de carrière. Le simple manoeuvre de force
du 2e groupe, comme Albert Schwartz,
ne sera payé que 2,8060 f, en fin de carrière.
Tous les mois, le capitaine Rigaud dresse une liste où il sollicite une prime de rendement pour l’ensemble de ses subordonnés civils qui semble-t-il, lui donnent satisfaction. Joseph Allendorf est bien noté, car sa prime de rendement s’élève à 13 francs alors que celle de la majorité de ses collègues se monte à 12.
Le
tournant des années 1960
A
la fin des années 1960, le plus gros est fait, mais les crédits s’amenuisent
et quelques travaux restent inachevés. Si
les deux portes blindées de l’entrée des munitions ainsi que les grilles des
deux entrées du Schiesseck qui avaient été dynamitées par les Américains en
1944 ont été remplacées par des modèles plus récents, l’ascenseur de
l’entrée des hommes n’a toujours pas été reconstruit et la cloche détruite
par les Américains au bloc 7 n’a pu être remplacée. Les matériels
d’artillerie et électromécaniques ont été traités en priorité et sont désormais
opérationnels. A partir de là il faudra simplement assurer leur maintenance.
Mais
après 1961, on devine déjà l’arrêt de mort des fortifications. La
formation de réservistes de forteresse est abandonnée (tel est le cas au
Schoenenbourg) et les équipes d’entretien ont vraisemblablement consigne de
ne maintenir que l’essentiel : moyens de production d’électricité, éclairage,
train et tourelles, ascenseurs, et qu’il n’est pas question d’engager des
dépenses car les crédits d’entretien ont fondu.
En 1968, tout s’arrête et les ouvrages seront déserts, non entretenus
et à peine surveillés. C’est la fin.
C’est
la fin, mais pas pour tout le monde, notamment en ce qui concerne les
fortifications du secteur de Bitche. Cette bourgade aux confins de la Moselle
est encore un important lieu de garnison. La Chefferie des Travaux du Génie
fait encore autorité car outre l’entretien de nombreuses casernes du vaste
camp militaire, elle a aussi compétence sur les ouvrages de la Ligne Maginot
qui lui sont confiés. Plusieurs d’entre eux sont à proximité immédiate de
la ville où même englobés dans le périmètre du vaste terrain de manœuvre.
Il est donc facile de les surveiller car il n’est pas un fonctionnaire du génie
qui ne passe devant une forteresse en se rendant à son travail ou encore lors
de ses loisirs.
Certains
ouvrages ont par ailleurs servi, après la guerre, à l’entraînement de la
seule unité d’active encore existante de la Ligne Maginot, le 37e Bataillon
des Equipages d’Ouvrages, qui est au service de l’OTAN. On y a pratiqué des
«écoles de feu» à tir réel dans certains ouvrages d’artillerie, ainsi que
des tirs de jumelages de mitrailleuses à partir de casemates situées à
l’intérieur du champ de manoeuvre.
Par
ailleurs, le lieutenant-colonel Philippe Truttmann a, lors des années 1970,
l’ambition de créer là un pôle de mémoire de la fortification Maginot, à
partir de toute une variété d’ouvrages qu’il tentera de préserver.
Pour résumer, le secteur de Bitche est alors, et restera jusque dans les années 1980, une sorte de pré carré de la fortification Maginot, jalousement surveillé et plus ou moins entretenu, alors que d’autres ouvrages du Nord-Est sont déjà totalement abandonnés et en proie au ferraillage clandestin.
1954
-Tableau de marches périodiques des gros ouvrages, petits ouvrages, abris et
casemates du secteur de Bitche
P.O.
de ROHRBACH : 1er et 3e vendredi de
chaque mois
Casemate de SEELBERG Ouest : 1er et 3e jeudi de chaque mois
Abri
de PETIT REDERCHING : 1er et 3e jeudi
de chaque mois
SIMSERHOF : Tous les jeudis, 2 groupes le matin, 2 groupes l’après-midi
Casemate du LEGERET : 1er mardi de chaque mois
SCHIESSECK
: Tous les jeudis, 2
groupes le matin, 2 groupes l’après-midi
Casemates de RAMSTEIN Ouest et Est : 1er et 3e mardi de chaque mois
Casemate
AVIATION Est : 3e et 4e mardi de
chaque mois
Casemates ROCHAT Ouest et Est : 2e et 4e lundi de chaque mois
HOHEKIRKEL
: (occupation du 37e B.E.O.), tous les jeudis, 2
groupes le matin, 2 groupes l’après-midi
Casemates
MAIN DU PRINCE Ouest et Est : 2e et 4e
lundi de chaque mois
Casemate du BISEMBERG (reproduit comme tel) : 1er et 3e lundi de chaque mois.
Cet
état date du 18 juin 1954 et est signé par le chef de bataillon Dron, chef de
l’Arrondissement des Travaux Mixtes du Génie de Bitche. On y signale que la
casemate du Grand Hohé est située dans le champ de tir et que les jours de
marche (du moteur) sont subordonnés à l’accès du champ, que certaines
casemates et abris ne sont que partiellement
équipés, que pour certaines casemates et abris il n’est pas toujours
possible de suivre le calendrier établi par suite du manque de main-d’œuvre
et de sous-officiers spécialisés, que la casemate Rochat Ouest est utilisée
pour les tirs aux jumelages fait par le 37e B.O., mais dont les jours de tirs ne
correspondent pas systématiquement aux jours de marche périodique du CLM.
On peut relever dans le contenu de cette note que les autres casemates et abris (Légeret, Reyerswiller, Camp, etc,) du secteur de Bitche ne figurent pas sur cette liste et qu’ils sont donc déjà en 1954, probablement peu ou pas entretenus.
Les
carnets de marche des groupes électrogènes
Mais
revenons en 1956. Les groupes électrogènes, qui sont des éléments vitaux
pour le fonctionnement des fortifications, font
encore l’objet de toutes les attentions. Leur maintenance est organisée de
manière très rigoureuse et est consignée dans des carnets de marche
comportant des feuillets préimprimés où chaque fonction est détaillée. On y
trouve la «feuille de quart» strictement réservée au fonctionnement des
moteurs thermiques et des alternateurs qui y sont accouplés, et la feuille de
renseignements généraux qui doit
être signée par le chef de centrale.
La
feuille de quart comporte quatre champs d’enregistrement, un par groupe électrogène,
avec un maximum de quatre puisqu’il n’y eut pas plus de 4 moteurs principaux
par usine (le CLM n’entre pas dans cette catégorie car assimilé à un moteur
auxiliaire). On note dans la colonne «heures des observations» le temps de
marche des groupes, ce qui permet d’affirmer, à l’examen des carnets de
marche, qui la consigne était de faire tourner les moteurs des gros ouvrages
quatre heures d’affilée.
La colonne suivante sert au report du nombre de tours au tachymètre, celle d’après à noter les pressions d’eau et d’huile, la suivante le cran de pétrole. Puis viennent les relevés de température d’huile et d’eau de refroidissement, et enfin la puissance électrique délivrée en volts, ampères et kilowatts.
On y reporte aussi la température de l’aérorefroidisseur, quand il en existe un bien sûr. Les consommations de gaz-oil et d’huile font l’objet de trois colonnes et les quantités des approvisionnements en eau, gaz-oil et huile forment une autre rubrique. Un détail : en 1956, les carnets de marche qui sont des fascicules imprimés et reliés orthographient «gaz-oil» avec un Z, ceux de 1962 mentionnent «gas-oil» avec un S, c’est pour cela que vous retrouverez les deux déclinaisons dans cette étude.
Enfin, une large colonne «observations» sert à noter les incidents et les manipulations non prévues dans les rubriques préimprimées.
La situation dans les ouvrages :
L’OTTERBIEL
Dans
l’ouvrage de l’Otterbiel, l’usine abrite trois groupes SMIM (Société des
Moteurs pour l’Industrie et la Marine) de 6 cylindres chacun, développant 125
chevaux, plus un groupe auxiliaire
CLM. Le carnet de marche des groupes électrogènes et des appareils
auxiliaires, tenu entre 1956 et 1958 est annoté comme le veut le règlement. On
y découvre que les groupes SMIM 1 et 2 tournent de concert, qu’ils sont lancés
à 8h, avec arrêt à 12h. Le groupe n° 3 est, quant à lui, mis en marche à
13h30 jusqu’à 17h30. Tous tournent invariablement à 600 tours à la minute.
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La
pression d’eau ne fait l’objet d’aucun relevé et la pression d’huile
est mesurée au niveau du palier extérieur, avec en plus une mesure faite à
l’avant du filtre, mais uniquement pour le groupe n° 3. La quantité
d’huile dans les carters peut être très différente, car on y jauge entre 18
et 58 litres.
Curieusement,
aussi, la température de l’eau de refroidissement à l’aspiration des
pompes n’est relevée qu’au niveau de la pompe de circulation du groupe 3,
elle s’élève généralement autour de 32° après 1 heure de marche, et de
38° après la troisième heure. La température de l’eau à la sortie des
cylindres n’est, paradoxalement, relevée qu’au groupe 3 (jamais au 1 et 2).
Elle est de 34° à la première heure et 40° à l’arrêt de la machine. On
peut calculer que l’échauffement moyen de l’eau de refroidissement est de 2°
après être passée dans le moteur, et qu’elle se réchauffe globalement de 6°
au bout de quatre heures de fonctionnement.
Dans
le carter, l’huile qui sert à la lubrification des parties mécaniques s’échauffe
elle aussi, durant le même laps de temps, passant de 24 à 42° pour le groupe
3 et de 20 à 58° pour les groupes 1 et 2. Il semble donc que ces derniers
chauffent d’avantage que le groupe 3.
Chaque
alternateur délivre une puissance de 440 volts. Les groupes 1 et 2 sont mesurés
entre 40 et 75 ampères et 20 et 40 kilowatts, le groupe 3 entre 90 et 105 ampères
et 68 et 80 kilowatts. Ce dernier serait-il plus performant ou serait-il plus
sollicité par une activité plus intense l’après-midi, puisque le groupe n°
3 ne tourne pratiquement que l’après-midi, ou s’agit-il d’un modèle plus
récent ?
La
page des renseignements généraux est moins bien remplie à l’Otterbiel que
dans d’autres ouvrages. On y apprend que les réservoirs à gaz-oil
contiennent, en septembre 1956, 12 263 litres de carburant, alors que le niveau
tombe à 3420 litres deux années plus tard. De 1939 litres d’huile OMD on
passe à 1500 litres dans le même laps de temps. Il existe aussi une réserve
d’huile minérale, d’une quantité moyenne de 45 litres.
Le
tableau du total des heures de marche nous apprend que chaque machine tourne
quatre heures par quart (définition du temps consacré au travail, trouvant son
origine dans la marine), quelquefois trois ou cinq car il faut équilibrer les
heures de fonctionnement entre les différents moteurs. Contrairement à ce qui
se passe dans d’autres ouvrages, le chef de centrale ne note jamais le nombre
d’heures de fonctionnement dans le mois, mais la lecture du total qui augmente
à chaque rapport de quart permet d’en faire facilement la déduction. On y
apprend qu’ils tournent en moyenne 13 heures par mois, chacun, et qu’ils
consomment entre 14 et 20 litres à l’heure, d’un mois à l’autre, pour un
même temps de fonctionnement.
Le CLM fonctionne en règle générale une heure, deux fois par mois, il totalise 958 heures au 19 septembre 1956 et 1043 heures à la fin août 1958. C’est donc une machine qui aurait tourné environ 1200 heures qui disparaîtra au cours de l’automne 2003, emportée par des inconnus.
Encore
un groupe électrogène voyageur
Le
SMIM n° 1 totalise, en septembre 1956, 775 heures de fonctionnement, le n° 2
est à 571 heures et le n° 3 à 191. Le troisième moteur est donc
vraisemblablement presque neuf quand il entre en service après la guerre et
n’est pas encore installé en 1954, car le tableau de marche de cette année
ne signale la présence que de deux moteurs. Et c’est là que nous découvrons
que, selon toute probabilité, le SMIM n° 3 a fait un séjour à l’ouvrage du
Four à Chaux, où une machine de ce type avait été installée en 1951 et
remplacée en 1954 par un Sulzer de
type DF 22. Il serait intéressant de connaître, comme nous l’avons fait pour
les Sulzer, les péripéties des moteurs SMIM, de 1935 à 1955.
En
septembre 1958, le groupe n°1 totalise 1082 heures, contre 1104 pour le n° 2
et 514 pour le n° 3. Tous les trois ont tourné en moyenne 150
heures par an. Les moteurs 1 et 2 cumuleront chacun, lorsque la Ligne
Maginot sera définitivement condamnée, environ 2000 heures de fonctionnement.
La
rubrique «Observations» du carnet de marche des groupes de l’Otterbiel est
pleine d’enseignements, le chef de centrale préférant y reporter certaines
informations qui devraient figurer dans les tableaux, ainsi que les mouvements
de matières vers les autres ouvrages du secteur.
Ainsi, on lit dans cette rubrique que le 26 septembre 1956, la mesure d’isolement des génératrices 1 et 2 est de 7 méga ohms avant la marche, et qu’elle est tombée à 5,5 après la marche des ces moteurs.
Transferts
de carburant :
Le
31octobre 1956, on sort 10 litres de gaz-oil pour les casemates de Ramstein
Ouest et de Rochat Ouest, car les électromécaniciens font également la
maintenance des casemates et des abris l’on «sort» ce qu’il faut pour les
petits voisins.
Le
28 novembre, on sort à nouveau un total de 70 litres pour les casemates de
Ramstein Est, Ramstein Ouest, Rochat Est et Rochat Ouest. Les données des
mesures d’isolement, faites une fois par mois; sont un peu plus élevées que
les précédentes. La consommation journalière de gas-oil est
relevée après chaque journée de marche, elle est de 196 litres lors de
cette journée, mais elle variera, sur les deux années, entre 100 et 200 litres
par séance.
Entre
le 25 et le 28 janvier 1957, sont exécutés des essais de surpression, au moyen
de la ventilation, bien sûr. Durant ce mois, ont été consommés 455 litres de
gaz-oil, 9 litres d’huile OMD et 4 litres d’huile minérale. Les mesures
d’isolement indiquent toujours 15 ohms.
Le
28 février, on soustrait à nouveau 10 litres de carburant pour la casemate
Ramstein Est.
Le
7 mars, sont perçus 2300 litres de carburant. A cette date, on change de régime
par la mise sous tension de tout l’ouvrage, car jusqu’à présent on n’exécutait
que des marches périodiques, c’est-à-dire sans réelle production de
courant. On «alimente» alors l’ouvrage, et du coup la consommation journalière
de gaz-oil grimpe à 400 litres par séance. Ce mode de fonctionnement durera
jusqu’en mai, où l’on reviendra à la simple marche périodique, plus économique.
Le 22, l’injecteur du cylindre 4 du moteur n° 2 se coince et provoque un défaut
d’alimentation, il faut alors réparer.
Le
27, seront livrés 10 litres de carburant à la casemate Aviation.
En
avril, Ramstein Ouest et Rochat Ouest seront livrées à raison de 15 et 10
litres.
Entre
le 9 et le 15 mai 1957, la mention de «marche périodique» est suivie de celle
de «tir».
Le
22 mai, ce sont les casemates Ramstein Est et Ouest et Rochat Est et Ouest qui bénéficient
chacune de 50 litres.
Le
19 juin, nouvel incident : après deux heures de marche, le tuyau du manomètre
d’huile avant filtre s’est cassé au moteur 2.
Le 4 août, on sort 200 litres de gaz-oil pour l’abri du camp, alors que ce dernier ne figure plus sur la liste des ouvrages à maintenir. Le 8 on perçoit 2500 litres de carburant, pour compenser les consommations et sorties diverses. Le 28 on en défalque 20 litres pour Aviation Est.
Une
réserve de guerre en 1957 ?
Le
25 novembre 1957, sera perçu, au titre de la réserve de mobilisation : 150
litres d’huile OMD, 45 kg de graisse GAAUG et 185 litres de pétrole lampant.,
le tout contresigné par le capitaine Georges, chef du Service du Génie de
Fortification. Pourquoi subitement une réserve pour le cas probable d’une
mobilisation. Y aurait-il eu une alerte qui aurait pu engendrer un conflit, à
ce moment là ?
Justement,
le 26 août 1957, la situation internationale avait commencé à s’emballer.
L’agence de presse soviétique Tass venait de faire savoir que
l’Armée rouge venait de réussir ses premiers essais de tir de fusées
intercontinentales. Pour la première fois dans leur histoire, les USA étaient
directement menacés par une arme étrangère. La nouvelle suscita une certaine
inquiétude parmi les alliés européens des USA. Et comme l’URSS possédait
la bombe à Hydrogène depuis 1953, on en était à un des points culminants de
ce qu’on appelait alors la guerre froide.
Les
4 et 5 décembre, l’Otterbiel reçoit du Service des Essences de la 6e Région
militaire, toujours au titre de la réserve de mobilisation,
5000 puis 40 000 litres de gaz-oil, livrés par le véhicule immatriculé
H 2013, et il faut casser pas moins de cinq plombs pour voir couler le précieux
liquide, sans doute pour éviter les prélèvements indélicats. La réserve de
mobilisation doit permettre 720 heures de fonctionnement en totale autonomie.
En janvier 1958, les électromécaniciens refont les pleins d’huile : 10 litres pour le groupe 2 et 5 litres pour le groupe 1.
En
mars, c’est le capitaine Vandewattyne, chef de l’Arrondissement des Travaux
de Bitche, qui contresigne la feuille de quart.
Le 28 avril, 600 litres de gaz-oil viennent compléter les cuves, suivis de 5000 litres, le 28 juin.
Curieusement, de février à fin août 1958, il n’est mentionné qu’une seule sortie de carburant pour un ouvrage extérieur. Le chef de centrale, qui a changé à plusieurs reprises, n’a peut-être pas jugé utile de l’enregistrer, ou alors, les grosses consommations des CLM de casemate relevées en 1956 et 1957 seraient elles imputables à des usages plus personnels ? Rien ne l’exclut !
AU
SCHIESSECK
Le
Schiesseck est équipé de quatre groupes Sulzer KD 22. Deux sont là depuis
1934, les deux autres proviennent de l’ouvrage du Four à Chaux où ils
avaient été dynamités en 1945, puis réparés en usine. Les Sulzer sont plus
gros consommateurs que les SMIM, mais ils sont aussi plus puissants, leurs
quatre cylindres développant 165 cv alors que les six cylindres des SMIM n’en
restituent que 125.
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Au Schiesseck, les feuilles de quart sont annotées de manière exemplaire. On y apprend que les Sulzer n° 1 et 2 tournent successivement pendant quatre heures pendant le premier quart (la première semaine), les n° 3 et 4 durant le second quart (la semaine suivante), puis le cycle recommence
Ainsi,
entre le 1er et le 31 juillet, les moteurs 1 et 2 auront tourné pendant 12
heures, les 3 et 4 pendant 8 h. Le
CLM, qui tourne, selon la consigne une heure par quart, totalise dans ce même
laps de temps 5 heures de fonctionnement.
Mais
le Schiesseck recèle aussi un
moteur auxiliaire qui est installé au bloc 8, et qu’on fait tourner 3 heures
par quart, c’est-à-dire par semaine. Quel est donc ce moteur et à quoi
peut-il servir ? L’explication pourrait être celle-ci. Le bloc 8 est un bloc
pour tourelle de deux obusiers de 135 mm. Il se pourrait que la formation des
artilleurs de forteresse, assurée entre 1952 et 1957 par le 37e bataillon mixte
d’équipage des ouvrages, ait été en partie exécutée au sein de cet
ouvrage, du moins pour le service des tourelles de 135. Il n’était alors pas
question de mettre sous tension tout l’ouvrage, ce qui aurait demandé la présence
d’un ou plusieurs techniciens, sachant que ces derniers avaient un effectif
limité et un calendrier très précis de maintenance sur différents ouvrages,
qui ne concorderait pas obligatoirement avec les périodes de formation. On peut
supposer que les artilleurs allaient au bloc 8 avec un éclairage portatif et
qu’une fois sur place, ils mettaient en route le groupe auxiliaire qui est un
CLM et qui leur assurait l’éclairage et peut-être
la force motrice pour la tourelle.
Mais revenons au fonctionnement des Sulzer. Ici, chaque machine fonctionnera séparément. La première démarrera à 8 h pour s’arrêter à midi, la seconde à 14 h, jusqu'à 18 h, les Sulzer tournent à 600 tours/minute. Les pressions d'eau et d'huile sont scrupuleusement notées : 0,9 pour l'eau de refroidissement, 1,4 pour l'huile, avant le filtre et 290 au palier extérieur.
On
mesure la température de l'eau de refroidissement à la sortie de chaque
cylindre (ce qui n'est pas le cas sur les moteurs SMIM), avec des valeurs
moyennes de 28° après une heure de fonctionnement, et de 36° au relevé de 17
heures sur le moteur n° 2, la température de l'eau dans les cuves s'étant réchauffée
entre-temps, après 8 heures de marche au moteur.
Les
génératrices des Sulzer délivrent 440 volts (c'est un standard), sous 200 ampères
et 80 kilowatts en 1959, mais seulement 100 ampères et 60 kilowatts en moyenne
en 1964.
En
mai 1959, la cuve n°1 contient 1000 litres de gaz-oil, la n° 2 recèle 8450
litres.
La
réserve de mobilisation, stockée dans les cuves n° 3, 4 et 5 est de 60 000
litres. 1140 litres d'huile sont disponibles dans le réservoir n°1, le n° 2
contient la réserve de mobilisation à hauteur de 1800 litres.
Au
3 mai 1959, les Sulzer n°1 et 2 totalisent chacun 1469 heures de marche, les n°
3 et 4 : 1049. On relève 782 heures pour le CLM et 503 heures pour le moteur
auxiliaire du bloc 8.
On consomme en moyenne 200 litres de gaz-oil par quart de fonctionnement, c'est-à-dire 100 litres par moteur, ce qui fait une consommation de 25 litres à l'heure.
Le
17 juin, on combine une marche périodique avec une visite d'officiers.
Le
25 juin, il faut arrêter le Sulzer n° 1 à 8h40, donc après 40 minutes de
fonctionnement, car la conduite de gaz-oil est crevée (dans le texte) et il se
produit une fuite, qu'il faudra bien entendu réparer.
Le
2 juillet, on transfère 18 litres d'huile OMD 110 à destination du moteur CLM
du bloc 8.
Le 16 juillet, on exécute la vidange des carters et on nettoie les filtres des Sulzer 1, 2, 3 et 4.Chacun est recomplété par 80 litres d'huile neuve OMD 110.
Le
31 mai 1964, c'est l'adjudant Deboffle qui contresigne le carnet des groupes, en
tant que chef secteur fortification. (reproduit comme tel). Le chef de centrale,
du nom de Allendorf, est toujours le même depuis 1959. Mais en 1964, on sent
bien, à la lecture des feuilles du carnet de marche, que les choses ont changé
et que les moyens sont en forte diminution. Ainsi, de juin à septembre, chaque
groupe ne tourne plus qu'une heure par quart. La rubrique "par mois"
indique, quant à elle, qu'ils n'ont tourné qu'une heure au mois de juin. Par
ailleurs, on en est arrivé à grouper les inscriptions de deux quarts sur la même
feuille.
Le
10 septembre 1964, on sort 20 litres d'huile pour l'abri du Freudenberg.
Le
5 novembre, on rentre 7100 litres de carburant, d'où l'on soustrait 50 litres
au profit de l'abri du Légeret. Puis on perçoit à nouveau 15 000 litres le 21
décembre, car les réserves sont tombées à ce moment à hauteur de 7630
litres. Cela permet entre autres de remonter à quatre heures de fonctionnement
le temps de marche périodique, qui était tombé à une heure. Néanmoins, on
sent bien que ce n’est plus comme avant car les consommations deviennent plus
irrégulières, certaines machines tournant alors 4 heures par mois, d’autre
deux, c’est-à-dire une seule fois par mois.
Le
9 février 1965, on transfère 40 litres de gas-oil pour l’abri de Petit Réderching
et 30 litres d’huile moteur pour le Grand Hohekirkel.
Début
juin 1965, le câble de 17 000 volts de l’alimentation par l’arrière présente
une défectuosité localisée dans l’ouvrage. Il faut le réparer. On en
profite pour faire tourner le groupe n° 3, qui pourra éclairer le chantier. La
même journée, on sort 200 litres de gas-oil au profit de l’abri du
Freudenberg, 80 litres pour la casemate de Ramstein, 640 litres pour le petit
ouvrage de Rohrbach.
A
la fin du mois d’août 1965, les 60 000 litres de gas-oil de la réserve de
mobilisation sont toujours dans les cuves. Le Sulzer n°1 compte 1987 heures de
fonctionnement, il a donc tourné, comme les autres, 518 heures
en un peu plus de 6 années, entre mai 1959 et juin 1965, c’est-à-dire
en moyenne 83 heures par an. Le n° 2 sera à 1949 heures, le n° 3 à 1568 et
le n° 4 à 2143.
On
peut estimer à 2200 heures le temps de fonctionnement des Sulzer après la
guerre, avant l’arrêt définitif des machines qui ne s’est pas produit en
1968, mais en 1982, au moment où cet ouvrage était devenu un boulevard pour
visiteurs clandestins. Je pense même, en tant qu’auteur de ces lignes, avoir
été une des dernières personnes à avoir entendu tourner un groupe Sulzer du
Schiesseck, et du fait à voir l’ouvrage entièrement éclairé par ce moyen.
C’était en été 1981. En compagnie de mon épouse et mes jeunes enfants, je décidais de pousser une reconnaissance jusqu’à l’entrée des munitions de cet ouvrage. Près de la grille entrebâillée, une Peugeot 204 noire était arrêtée et un jeune militaire, visiblement le chauffeur, se tenait à proximité. Je lui demandais s’il pouvait m’autoriser à jeter un coup d’œil dans le hall de déchargement. Il me répondit que cela n’était pas de son ressort et que les gradés qui auraient pu m’y autoriser étaient à l’intérieur, mais qu’il ferait comme s’il n’avait rien vu.
Je pénétrais alors jusqu’au début de la galerie principale, qui était entièrement éclairée. On entendait distinctement ronronner la puissante machine, je fis demi-tour pour ne pas me faire surprendre. J’ai su, une heure plus tard, qu’il s’agissait du Lieutenant-colonel Truttmann, avec lequel j’engageais alors la conversation à l’entrée du Simserhof. Une année plus tard, les premiers démontages clandestins condamnèrent définitivement les Sulzer du Schiesseck.
Situé
à l’Est de Bitche, le «petit» gros ouvrage du Grand Hohekirkel est lui
aussi doté de groupes SMIM identiques à ceux de l’Otterbiel (6 cylindres,
125 cv), mais ils sont ici au nombre de quatre. Les caractéristiques comme le
nombre de tours, les pressions d’eau et d’huile, les températures et
consommations sont donc identiques à celles des machines de l’Otterbiel.
Le
grand Hohé a été le lieu de formation au 37e bataillon mixte d’équipages
d’ouvrages, de 1952 à 1957.
Le 14 février 1963, les SMIM n° 1et 2 comptent 1453 heures de marche chacun, 1401 pour le n° 3 et 1388 pour le n° 4. Ils tournent chacun, en moyenne, huit heures par mois.
4355 litres de gas-oil sont à disposition dans les citernes, sans compter la réserve de guerre qui est de 40 000 litres. Durant le mois de février, le groupe n° 1 a tourné huit heures, le n° 2 six heures, le n° 3 huit heures et le n° 4 neuf heures. Rien n’est dit sur le CLM. D’ailleurs, le chef de centrale Lett ne doit pas aimer la paperasse.
Contrairement
à ce qui se fait au Schiesseck, ce ne sont pas les groupes 1 et 2, puis 3 et 4
qui tournent à la suite, mais bien les 1 et 4 et 3 et 2. Curieusement, un des
groupes fonctionnera pendant trois heures, alors que le second, dans la même
journée tournera quatre heures. Comme quoi, chaque chef de centrale impose sa
propre méthode de travail. Mais il
est lui aussi contrôlé par l’adjudant-chef Deboffle, qui est le chef du
secteur de fortification de Bitche.
Le 30 mai 1963, on sort 60 litres de gas-oil pour l’approvisionnement de l’abri du Camp, puis le 18 juillet, 8 litres pour Main du Prince Est et Ouest. A cette date le groupe n° 1 totalise 1492 heures de fonctionnement, 1484 pour le n° 2, 1448 pour le n° 3 et 1424 pour ne n° 4, soit une moyenne approximative de 40 heures pour 5 mois, ce qui fait environ 8 heures par mois.
AU
WELSCHHOF
L’ouvrage du Welschhof est, comme tout le monde le sait, un ouvrage d’infanterie dont l’usine abrite deux groupes SMIM, plus l’incontournable CLM. Ce ne sont toutefois pas les mêmes que ceux de l’Otterbiel vu qu’ils ne possèdent que trois cylindres et, de ce fait, sont moins puissants que ces derniers. En fait, les constructeurs ont déjà, à cette époque, rationalisé leur production de moteurs après avoir fabriqué un modèle de base, où ils ajoutaient des cylindres pour obtenir la puissance voulue. Ainsi, les SMIM du Petit Ouvrage voisin de Rohrbach sont constitués de quatre cylindres, pour une puissance de 100 cv.
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L’adjudant
Deboffle supervise également la maintenance de cet ouvrage, mais le chef de
centrale du Welschhof n’a pas la fibre administrative. S’il remplit
correctement sa feuille de quart, les totaux des heures de marche sont annotés
de manière peu rigoureuse puisqu’il cumule sur un moteur le report de toutes
les heures de fonctionnement, alors qu’il devrait les détailler pour les deux
machines.
Lors des marches périodiques, le groupe n° 1 tourne de 8 et 12 h, le n° 2 de 14 à 18 h.
En
automne 1962, ils ne fonctionnent plus que 4 heures par mois, chacun, alors que
la note de service de 1954 en prescrit huit. A bien regarder, ils ne tournent
souvent qu’une fois tous les mois, alors qu’ils devraient être mis en route
au moins deux fois. Cela ne cadre plus avec ce qui se fait ailleurs et on peut
se demander si le Welschhof n’a pas été un des premiers sacrifiés sur
l’autel des restrictions.
Plusieurs
facteurs démontrent que le Welschhof est en sursis, ses réserves de carburant
qui diminuent de mois en mois sont au plus bas en février 1963, où il ne reste
que 15 litres dans les citernes. Le 2 mai, on approvisionne toutefois à hauteur
de 1000 litres, qui ne proviennent non pas du Service des Essences de l’armée,
mais du Schiesseck. Un autre indice du délaissement de cet ouvrage est qu’il
n’a sans doute pas reçu de réserve de mobilisation, en carburant et en
huile, car nulle part il est fait mention de cette réserve dans le journal de
marche des groupes, entre 1962 et 1964.
Les
électromécaniciens nettoient néanmoins les filtres à huile en novembre 1962.
Le
13 mai 1964, c’est bien le début de la fin qui s’annonce quand les
techniciens de l’Electricité de France démontent le tableau de comptage électrique,
ce qui veut dire que la ligne d’alimentation du courant provenant de l’extérieur
est désactivée.
Le 19 janvier 1968, On procède encore à un inventaire d’outillage et on mesure l’isolement de l’alternateur, qui est de 0,015. A ce moment, les SMIM totalisent chacun 2018 heures de marche, le CLM 1157. mais à nouveau, le niveau de carburant est au plus bas, il reste à peine 83 litres dans les réservoirs.
A la fin du mois de mars 1969, les SMIM n’ont tourné que deux heures depuis janvier 1968. Il ne reste plus que 58 litres de gas-oil dans les cuves, ce qui serait tout juste suffisant pour deux séances de fonctionnement. On peut donc considérer que ce fut là la fin des SMIM de l’ouvrage du Welschhoff qui s’arrêtèrent définitivement après avoir tourné vaillamment 2020 heures. Après cela, il n’y a plus que des pages vierges d’inscriptions dans le carnet de marche des groupes.
Sources : Entre 1981
et 2003, alors que des dizaines de visiteurs clandestins piétinaient allègrement
et dédaigneusement des liasses entières de documents techniques rassemblées
dans un local de l’usine du Schiesseck, j’emportais, à chaque passage,
quelques feuillets de ces pauvres reliques gorgées de boue, d’humidité et de
moisissures. C’est de là que j’ai pu tirer la principale matière de cette
étude sans prétention. Comme quoi, l’histoire vous colle quelque fois aux
chaussures.
Décembre
2003
Jean-Louis Burtscher
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